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samedi 24 septembre 2022, par velovi

En matière de tourisme à bicyclette, le temps qu’il fait est le grand maître de cérémonie. Si Paul de Vivie roulait quasiment par tous les temps, il redoutait plus particulièrement les orages. En 1881, à Yssingeaux, il faillit recevoir la foudre sur un tricycle sociable, lors d’une des premières manifestations des Cyclistes Stéphanois. Dans la vallée du Rhône, c’est avec le mistral qu’il faut compter, et en été la chaleur. Les variations de météo et de lumière rendent chaque randonnée unique, permettent de ne jamais revoir le même paysage sous le même aspect.

 MARLHES. – LA LOUVESC. – ANNONAY., 1889

«  Il manquait quelque chose à mon bonheur. J’avais excursionné par tous les temps   ; orages, chaleurs torrides, averses soudaines, neige, vent, poussière, je connaissais tout cela  ; mais je n’avais jamais eu l’agrément de rouler pendant des heures avec une pluie battante sur le dos.
Les dieux, qui ont des faiblesses pour moi, m’ont enfin accordé ce qui devait combler mes vœux et, comme pour Horace, ils y ont même ajouté quelques gouttes de plus, je devrais dire de trop.
C’est, quoi qu’il en soit, une belle et agréable excursion que nous avons faite les 9 et 10 juin et dont nous nous souviendrons longtemps.  »
Vélocio, «  Marlhes. – La Louvesc. – Annonay.  », Le Cycliste, juillet 1889, p.166-173, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_1

 AU PAYS DU SOLEIL, 1889

«  Or, il fit ce jour-là une chaleur accablante et nous avions à peine attaqué la montée de 14 kilomètres qui nous sépare du versant de la vallée du Rhône que nous dûmes, autant à cause du soleil que du vent contraire, mettre pied à terre et pousser nos bicyclettes, tant et si bien que nous mîmes plus de deux heures et demie pour atteindre l’Hôtel du Grand Bois, où nous devions déjeuner et où nous arrivâmes passablement exténués. Heureusement que de ce point jusqu’à Andance nous n’allions avoir qu’à descendre pendant 42 kilomètres. Mais la sottise que nous avions faite de partir aussi tard devait nous causer bien d’autres désagréments et nous gâter complètement cette première journée. Pendant notre repas, le temps se dérange si promptement que déjà nous entendons le tonnerre gronder sur notre gauche, où les nuages s’amoncellent pendant que, du côté d’Annonay, le ciel est toujours bleu. Peut-être ne sera-ce qu’un orage local, hâtons-nous de partir et nous échapperons à l’averse imminente. Nous dévalons avec une rapidité vertigineuse sur Bourg-Argental où des rafales de poussière nous font croire que l’orage est sur le point d’éclater et qu’il vaut mieux nous arrêter un instant pour le laisser passer. Après avoir ainsi perdu une demi-heure précieuse, les choses restant dans le statu quo, nous repartons, les coups de tonnerre se succèdent rapidement et toujours plus rapprochés  ; le ciel s’assombrit uniformément  ; à peine aperçoit-on çà et là et de plus en plus loin, devant nous, des taches d’azur qui paraissent lutter sans espoir contre l’invasion des nuées, mais qui nous font espérer un temps plus favorable sur les bords du Rhône. Nous précipitons notre allure d’une façon désordonnée  ; nous traversons Boulieu  ; de différents côtés nous parviennent les sons des cloches sonnées à toute volée pour éloigner la foudre, car on en est encore là dans ces montagnes de l’Ardèche  ! Tout à coup une trombe s’abat sur nous  ; je me trouve heureusement auprès d’un arbre qui me protège pendant que j’endosse mon caoutchouc  ; Forest, qui n’a pas le moindre abri, est transpercé  ; à un quart d’heure de là, une masure nous abrite un instant, à Saint-Cyr  ; mais voyant la pluie s’enrayer et ne voulant ni coucher là ni revenir sur nos pas, nous disposons manteaux et tabliers imperméables aussi bien que possible et nous continuons à descendre sur Andance  ; la route est molle, les moindres montées sont pénibles sous les caoutchoucs qui étouffent.
Nous traversons le Rhône et, comme la pluie redouble d’intensité, une halte à Andancette est jugée nécessaire autant pour nous sécher que pour délibérer sur ce qu’il convient de faire. La délibération est courte  ; nous irons quand même de l’avant  ; il est 5 heures, et Valence, où nous devons coucher pour en repartir le matin de très bonne heure, est encore à 40 kilomètres, mais nous sommes encore pleins d’illusions et, comme on nous a assuré que la route par Saint-Vallier est très bonne, nous croyons déjà qu’en deux petites heures nous descendrons à la Croix d’or. Fiez-vous donc aux assurances des gens qui ne sont pas vélocipédistes et qui jugent de la valeur d’une route en passant à côté en chemin de fer  ! Au lieu d’être très bonne, cette route de la rive gauche, elle est ce jour-là le plus souvent mauvaise et par moments, surtout après Saint-Vallier, épouvantable. N’oubliez pas que la pluie ne nous fait pas grâce et qu’à deux ou trois reprises elle est si violente que nous jugeons prudent de nous réfugier n’importe où pour ne pas être trempés jusqu’aux os. Par contre, chose bizarre, nous traversons, de temps à autre, des zones que l’orage a scrupuleusement respectées, où il ne pleut pas et où il n’a pas encore plu, de sorte que les habitants sont étonnés de voir nos manteaux ruisselants et nous demandent d’où nous venons. — De Saint-Étienne, s’il vous plaît. — On va tout de même loin avec ces machines-là  ! font-ils, étonnés. Bref, à Tain, où nous arrivons à 6 heures ½, il tonne et il pleut de plus belle, ce qui est bien fait pour ébranler les plus belles résolutions du monde  ; nous filons droit sur la gare pour demander l’heure des trains. Nous échouons ensuite dans une modeste hôtellerie où l’on nous sert déjà des plats du Midi, des pommes d’amour, ce qui nous met un peu de baume sur le cœur. Té, mon bon, dis-je à Forest, nous sommes déjà dans le Midi.  »
[…]
«  À 8 heures, en voiture, non pour Valence, mais pour Orange, car, tout bien considéré, les routes seront très mauvaises le lendemain et il nous serait impossible d’effectuer l’étape projetée de Valence à Avignon avec détour sur la fontaine de Vaucluse. Orange, 1 heure du matin, il nous faut encore enfourcher nos machines et faire un bon kilomètre derrière la voiture de l’Hôtel de la Poste, avant d’arriver au gîte et la pluie tombe toujours, mais légère et tiède  ; au loin, dans le Nord, des éclairs fréquents illuminent la nuit, mais le bruit n’est plus perceptible  ; Dieu soit loué, grâce au P.-L.-M., nous avons enfin laissé l’orage derrière nous.  »
«  Puis, à 8 heures ½ (nous ne nous pressions pas, comme on voit), nous partions pour Carpentras avec une petite brise du nord qui n’allait pas tarder à se transformer en mistral assez violent  ; mais brise ou mistral, cela ne pouvait nous souffler que dans le dos ou, au pis aller, nous prendre de biais et nous ne nous en inquiétions guère.  »
«  On nous indique la route la plus directe, et, jusque-là, c’est très bien  ; mais le hic, c’est que Castries est à 20 kilomètres de Lunel dans la montagne  ; enfin, pourvu que la route soit bonne et ombragée, même en plein midi, 20 kilomètres ne sont pas pour nous faire reculer. Et nous voilà partis grand train et toujours chantant notre pas redoublé de 18 kilomètres à l’heure. Nous arrivons ainsi à 7 ou 8 kilomètres de Lunel, à un endroit dont j’ai oublié le nom, où la route de Montpellier traverse la voie ferrée et où débouche à droite la route, ou plutôt le chemin de Castries, une ligne droite, blanche de poussière incandescente, inabordable  ; pas un buisson qui y projette son ombre  ; dans le lointain, une ligne de collines qu’il nous faudra escalader et qui sont également dépourvues d’ombrages. Douze kilomètres à faire sur un pareil terrain et autant pour revenir nous paraissent une tâche trop difficile pour des hommes qui ont l’intention bien arrêtée de ne rien manger avant d’être arrivés au Grau-du-Roi. Il est onze heures et demie  ; après en avoir délibéré avec le garde-barrière et avoir vu passer un train où il faisait chaud aussi, car par les portières grandes ouvertes nous pouvions voir les voyageurs s’éponger avec fureur, nous décidons de rebrousser chemin et nous revenons à Lunel que nous contournons, cette fois, en suivant la route.
Midi, roi des étés, épandu dans la plaine,
Tombe en nappes d’argent des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L’air flamboie et brûle sans haleine  ;
La terre est assoupie en sa robe de feu.
Ces vers de Leconte de Visio s’échappent de ma mémoire en présence du ruban ensoleillé qui doit nous conduire à Aigues-Mortes et je vous assure qu’ils n’ont jamais mieux été de circonstance. Il est midi, ni plus ni moins  ; le soleil darde d’aplomb sur notre tête, notre ombre est réduite à la grosseur d’un poing et les échalas qui bordent la route avec gros comme une assiette de feuilles au sommet ne peuvent avoir la prétention de l’ombrager. À seulement y penser, j’en frémis encore  ; je ne m’étais jamais trouvé devant une pareille fournaise. Si, pourtant, un jour, à Istres, et il faut que je vous narre cela, quitte à renvoyer au prochain numéro la fin du récit de notre excursion au Pays du soleil.
C’était en 1880, je n’avais pas touché ni même vu un cycle de ma vie (mes débuts dans le noble sport ne datent que de 1881) et je ne puis donner ce nom à l’odieux vélocipède en bois qui a fait les délices des hommes fin d’Empire et qui a retardé de quinze à vingt ans le développement du cyclisme en France.
En plein mois d’août, nous avions profité des quelques jours de fête pour faire un pont de huit jours et prendre un billet circulaire avec Marseille pour but diamétral. Il nous restait un jour à utiliser  ; nous avions visité la veille tous les monuments d’Arles, assisté à une course de taureaux dans les arènes et nous avions un désir intense de revoir la mer, les flots bleus et l’horizon infini avant de regagner nos montagnes. Il fut décidé que nous consacrerions cette dernière journée à une promenade en bateau sur l’étang de Berre. Nous nous embarquions à 10 heures à Saint-Chamas dans une vulgaire barque vermoulue de pêcheur de moules. On erra çà et là toute la matinée sans but déterminé  ; une sorte de râteau que l’on promenait sur les rochers, à deux ou trois mètres sous l’eau, nous décrochait de temps en temps quelques malheureux coquillages que nous croquions sans nous faire prier, car il commençait à faire faim, l’air de la mer ayant, comme on le sait, des qualités extraordinairement apéritives.
Sous la surveillance du vieux pêcheur, et malgré les protestations de tous les passagers, je pris un instant la barre et je m’exerçai à diriger la barque  : la voile était trouée, le mât gémissait, l’eau clapotait ferme contre le bordage et, comme le vent augmentait rapidement, il faillit coucher le bateau où il entra même un peu d’eau, au grand effroi des jeunes femmes que nous accompagnions. Mais, sur l’avis du matelot, je parvins à redresser la barque d’un vigoureux coup de barre et à rectifier la direction  ; ce faisant, j’exposai aux caresses de la brise mes compagnons que la voile avait abrités jusqu’alors et un chapeau fut enlevé auquel il fallut ensuite faire la chasse. J’appris alors à louvoyer, à courir des bordées, à prendre le vent tantôt à droite, tantôt à gauche, et, à chaque fois que la voile se mettait à faséier, il me fallait lâcher la corde qui a un nom spécial que j’ai oublié, puis la tendre et l’attacher. Enfin, nous rattrapâmes le chapeau qui dansait au sommet des petites vagues et qui était à peine mouillé, tant les flots l’avaient bercé délicatement.
Tout cela était très amusant et les heures fuyaient, l’appétit grandissait à vue d’œil à mesure que Saint-Chamas disparaissait. Bientôt, il fallut tenir conseil  : où irions-nous dîner  ? Il était midi, Saint-Chamas était très loin et le pêcheur nous assurait qu’il nous faudrait deux heures pour y arriver, à cause du vent de traverse qui contrariait la marche. Il nous conseilla d’aller déjeuner à Istres, qui se trouvait sur la droite, à peu de distance du rivage, nous débarqua dans une petite crique où il amarra sa barque et se mit, en nous attendant, à grignoter ses provisions et ses moules dont il avait fait une petite récolte.
Nous voilà grimpant le long d’un sentier impossible pour aller rejoindre la route  ; il y avait là de magnifiques ceps chargés de raisins superbes et des figuiers pliant sous le poids des fruits mûrs  ; il faisait chaud, nous avions soif  ; nous aperçûmes une femme qui semblait être la propriétaire de ce jardin et nous la priâmes de nous vendre des figues et des raisins  ; elle nous baragouina un refus malhonnête. Alors, dame, l’un de nous se baissa et cueillit quelques grappes qui ne nous coûtèrent rien, qu’une action de grâce au Seigneur pour le remercier des bonnes choses qu’il avait placées sur notre chemin et qui nous parurent doublement exquises.
La route que nous devions suivre pour aller à Istres surplombe la mer pendant quelque temps, puis tourne brusquement à droite et s’enfonce dans les terres, un peu encaissée entre des rochers et un terrain calcaire sur lequel on cultive avec succès les oliviers. Le soleil dardait là-dessus depuis le matin et il devait être plus de midi quand nous débouchâmes du sentier.
La chaleur était tellement intense, tellement concentrée entre ces murailles rocailleuses qui se renvoyaient les rayons calorifiques, que nous crûmes entrer dans un four.
Les ombrelles et les chapeaux aux vastes ailes étaient impuissants à nous défendre. Certes, c’était le cas de dire avec le poète  :
La terre est assoupie en sa robe de feu  !
Nous cuisions littéralement  ; on aurait dit que nous respirions un air embrasé  ; je n’oublierai jamais le kilomètre qui sépare Istres de l’étang. Sur l’eau, malgré l’ardeur du soleil, la brise marine entretenait une agréable fraîcheur et l’on n’étouffait pas, mais sur cette route, la brise elle-même ajoutait à nos tortures en nous couvrant de poussière brûlante.
Cette impression me revint, en présence de la route de Lunel à Aigues-Mortes. Tout se taisait, sauf nos coussinets que nous avions négligés le matin et qui faisaient des cuii prolongés. Un peu d’huile et nous reprîmes notre train habituel sur l’air de Il y a la goutte à boire là-haut, qui est très alerte et qui nous enlevait bien à 20 kilomètres à l’heure. Marcillargues, une véritable oasis dans le désert de feu que nous traversons, est le premier village rencontré, de grands arbres, de l’ombre à profusion. C’est Capoue, mais, moins amollis que les soldats d’Annibal, nous ne nous endormons pas dans ses délices. Plus loin, Saint-Laurent nous offre des rafraîchissements et nous pédalons toujours à grande allure. Il fait de plus en plus chaud  ; à droite et à gauche d’immenses champs de vignes depuis Lunel nous montrent ce ce que sait produire l’industrie humaine lorsque la loi de la nécessité l’y contraint. Ces terres étaient, pour ainsi dire, incultes avant que le phylloxéra eût ruiné les vignobles français  ; depuis, le besoin de se retourner, de tirer parti de tout, de faire du vin français quand même, a mis en exploitation toute cette partie du territoire qu’on avait jusqu’alors jugée indigne d’une aussi noble culture.
Après Saint-Laurent, on ne rencontre plus le moindre hameau, quelques habitations perdues çà et là, puis la tour Carbonnière et enfin nous voyons se dresser à l’horizon la silhouette singulière d’Aigues-Mortes. »
Vélocio, «  Au Pays du Soleil  », Le Cycliste, janvier, mars 1890, p. 346-349, p.45-49, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_2

 UN RAID DE 600 KM À BICYCLETTE, 1900

«  Le vent soufflait avec une fureur croissante et nous emballions ces lignes droites des routes du midi que c’était merveille de se sentir emporté. Que n’avions-nous des roues libres  ! Quelques pédalées vigoureuses nous eussent permis de franchir des centaines de mètres sans remuer les jambes. Nous avions bien des repose-pieds et nous nous en servions assez souvent, mais ce n’est pas la même chose.  »

«  À 9 h. ½ nous entrions en Avignon à l’hôtel Grillon. Mon compteur indiquait 70 kilomètres parcourus depuis Entressens. Un repas végétarien, un bon sommeil effacèrent toute trace de fatigue et le lundi matin, dès 5 heures, nous reprenions la route avec le développement de 6 mètres à cause d’un léger vent contraire qui, au milieu du jour, fit place à un vent du Sud-Ouest assez violent mais favorable. Visite d’Orange, déjeuner à Piolenc où nous arrivons gelés. Nous retraversons en plein jour les villages que nous avions traversés, l’avant-veille, au clair de lune. Que de ruines de châteaux moyenâgeux  ! d’insignifiants monticules avaient leur forteresse. La montée de Donzère est sensiblement plus dure de ce côté et justifie le développement de 4m,40. Après Montélimar où nous nous arrêtons un instant, nous rencontrons plusieurs chauffeurs filant grand train. Au vol, car nous allons vite aussi, nous reconnaissons notre ami Corompt de Saint-Julien sur un quadricycle tout battant neuf. La route est si large, si droite, si bonne et en même temps si peu fréquentée qu’on peut marcher à la quatrième et même à la sixième vitesse sans crainte d’accidents. À Saulce nous décidons d’aller voir ce qui se passe sur la rive droite et par un interminable chemin de traverse nous descendons vers le Rhône que nous traversons au Pouzin, une fantaisie qui allonge notre étape d’une dizaine de kilomètres. À midi et quart, à Beauchastel, nous déjeunons, toujours à la mode végétarienne ou peu s’en faut. Nous reprenons la route avec un bon vent dans le dos et, naturellement, le développement de 7m,25. La route de la rive droite est, tout compte fait, plus agréable que celle de la rive gauche  ; elle court au pied des Cévennes qui présentent à chaque instant des points de vue pittoresques, monte et descend et n’a pas de ces désespérantes lignes droites de 10 kilomètres  ! Les caniveaux pavés y sont fréquents, mais on s’y habitue, à l’horizon se dressent par dessus les premières chaînes de montagnes, les géants des Alpes couverts de neige éclatante  ; on les distingue admirablement. Aucun incident ne trouble notre marche qui est plus rapide que jamais et nous mettons pied à terre à Andance à l’heure même où nous en étions partis l’avant-veille. Un arrêt était de rigueur avant d’attaquer les 1.000 mètres d’altitude qui nous séparent de nos pénates  »

«  Après Lançon une montée assez longue au cours de laquelle nous croisons deux cyclistes que le mistral paraît gêner rudement, nous amène au sommet d’une colline nue comme la Vérité sortant de son puits et nous voilà dévalant à une vitesse vertigineuse, pieds au repos, car il est impossible de suivre les pédales. O ma roue libre et mon bon frein sur jante à contre-pédale, que n’êtes-vous là  ! Je tressaute, je rebondis sur ma selle, je file comme un zèbre devant K..., qui s’effraie et veut mettre pied à terre. Voici un tournant un peu brusque  ; je me décide à serrer mon frein, un long et large patin de bois sur la roue directrice, et mon allure s’assagit, heureusement, car l’instant d’après le mistral m’attaquant de flanc puis, de face, me fait craindre une chute dans le ravin. Sur la route déserte et ensoleillée passent d’épais nuages de poussière que nous traversons de part en part, aveuglés, mitraillés par les graviers qui voltigent. Ah  ! c’est gentil d’avoir un tel vent derrière soi et, en fait d’imprudence nous en remontrerions à messieurs les chauffeurs.  »
Vélocio, «  Un raid de 600 km à bicyclette », Le Cycliste, 1900, p.66 à 72, Source Archives Départementales de la Loire, Per1328_7

 VERS LA MÉDITERRANÉE, 1899

«  Le 11 novembre donc, à 11 précises du matin, je m’ébranlai et me mis en devoir de grimper malgré le froid et le brouillard au col des Grands Bois  ; le vent m’était plutôt favorable  ; cependant je marchais avec 3m30 plus lentement que de coutume puisque je n’atteignis le sommet qu’à une heure moins vingt, en retard de quinze à vingt minutes sur mon temps habituel. Mais je me mis aussitôt sur mon grand développement 7m25 qui me permit de rattraper le temps perdu et d’arriver à Andance à 2 heures sans incident digne d’être noté. Dès que je fus sur le versant du Rhône, le ciel gris et maussade fît place à un soleil resplendissant qui m’accompagna pendant tout le voyage.  »
Vélocio, «  Vers la Méditerranée », Le Cycliste, 1899 et 1900, p.216-22, p.243-246, p.36-41, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_6 et Le Cycliste, Décembre 1957, Rétrospective «  Cyclo-Alpinisme à la Sainte-Baume  »

 DE SAINT-ÉTIENNE À CANNES ET RETOUR PAR LES MAURES ET L’ESTÉREL, 1900

«  Je ne puis décidément pas aller dans le Midi, sans avoir le mistral devant ou derrière moi  ; quand il est derrière, le mal n’est pas grand, mais devant  ! c’est une autre affaire, j’en appelle à ceux qui eurent à lutter contre lui.  »
[...]
«  À Mérindol le mistral se lève et va rapidement crescendo, si rapidement que de 7m,25 il faut descendre à 6 mètres, puis à 4m,40.  »
Vélocio, «  De Saint-Étienne à Cannes et retour par les Maures et l’Estérel », Le Cycliste, 1900, p.105 à 114, Source Archives Départementales de la Loire, Per1328_7

 EXCURSION DE PÂQUES (596 KILOMÈTRES), 1901

«  À Rognonas, nous fermons la boucle que nous venons de faire dans le Midi en reprenant la route suivie la veille, il ne nous reste qu’à pédaler en échangeant nos impressions. Entre Sorgues et Orange, un brouillard froid, humide, intense nous enveloppe, mais le vent qui, avant le lever du soleil, menaçait de souffler du nord, tourne au midi, dissipe le brouillard et nous pousse franchement. Le retour ne sera donc qu’une bagatelle.  »
«  Le soleil nous rôtit, nous passons sur la rive droite, où l’ombre des montagnes commence à ramener un peu de fraîcheur.  »
Vélocio, «  Excursion de Pâques (596 kilomètres)  », Le Cycliste, 1901, p.60-64, Source Archives Départementales de la Loire, Per1328_7

 EXCURSION DE L’ASCENSION, 1901

«  Un vent continuellement contraire, particulièrement dur au retour, a rendu cette excursion assez pénible, et nous a retardés  ; à cela près, le temps a été constamment beau et les routes du Midi, lavées par les orages, étaient peu poussiéreuses.  »
«  Quand on va dans le Midi, il faut compter avec le vent, sinon l’on est exposé à compter deux fois.  »
«  Nous fûmes désagréablement surpris, nous étant couchés avec le vent du midi, de nous réveiller avec le vent du nord qui allait nous rendre le retour pénible.  »
«  Malgré le mistral qui soufflait maintenant à décorner les bœufs, le tronçon Remoulins à Connaux nous parut de nouveau très agréable et nous nous arrêtâmes pour déjeuner dans ce dernier village en face d’une fontaine monumentale aux eaux abondantes et fraîches. Le reste de l’étape fut une lutte sans trêve ni merci contre le vent  ; j’en ai encore les yeux pleins de poussière.  »
Vélocio, «  Excursion de l’Ascension  », Le Cycliste, 1901, p.79-81, Source Archives Départementales de la Loire, Per1328_7

 EXCURSION PASCALE DES 29, 30 ET 31 MARS, 1902

«  À l’occasion des fêtes de Pâques, nous sommes allés faire notre tour habituel dans le Midi. Et bien nous en a pris  ; car, alors que nous nous morfondions sous la pluie à Saint-Étienne, à Lyon et dans tout le centre au point d’en avoir des inondations, ces heureux Provençaux jubilaient sous un soleil de printemps, tempéré par les caresses rafraîchissantes d’un léger vent du Nord.
Pas moinsse, c’était bien héroïque à nous d’oser, conformément à notre programme, partir la veille de la fête à 4 heures du soir, sous une pluie battante. La traversée du plateau de la République et celle des Grands-Bois, dans une boue dont on ne saurait se faire une idée sans y avoir pataugé, nous mirent déjà mal en point. Mais après un long arrêt chez Courbon, la descente à toute allure sur Bourg-Argental, c’est- à-dire douze kilomètres de pluie et de boue, nous assaillant de toutes parts, l’une, projetée en fusées par les roues, nous attaquait de bas en haut, l’autre, tombant dru des voûtes célestes, nous cinglait de haut en bas  ; tout cela eut raison de notre constance et nous capitulâmes, entre chien et loup, devant la remise de l’hôtel à Bourg-Argental, alors que nous devions pousser le soir même jusqu’à Loriol  ; continuer jusqu’à Andance dans l’obscurité eût été par trop dangereux.
Mon compagnon avait été le plus maltraité  ; mais aussi s’embarquer pour un voyage de cette envergure, sans le moindre paquet d’effets de rechange, sans pèlerine et sans garde-boue sérieux  ; à vrai dire, c’était son début en cyclotourisme, il s’en souviendra. Quant à moi, suffisamment protégé par ma pèlerine et par un large garde-boue, je n’eus à emprunter à mon bagage que des bas et des souliers, pour me trouver parfaitement au sec. On maugrée parfois contre la surcharge de quelques kilos de bagage dont bien souvent l’on n’a pas l’occasion de se servir, pas plus que de la chambre à air de rechange que tout cyclotouriste prudent n’oublie pas d’emporter, mais l’on est bien aise, le cas échéant, de retirer de sa valise de quoi manger quand on a faim, de quoi se couvrir quand on a froid, et de quoi se sécher quand on est mouillé. On fait le même reproche aux machines compliquées, à moyeux-freins, à polymultiplication  ; pourquoi m’embarrasserais-je de tout cela, alors que pour les neuf dixièmes de mes promenades je n’en aurai pas besoin  ? Mais survient à l’improviste telle circonstance fâcheuse, vent contraire ou défaillance momentanée, qui vous réduit à l’inaction si vous n’êtes pas armé pour la combattre. Tout compte fait, j’estime que les cinq ou six kilos que je pourrais, à la rigueur, m’abstenir d’emporter, me sont plus utiles que nuisibles, et je n’en dégarnirai pas de sitôt ma bicyclette de route.  »
[…]
Il plut toute la nuit et je commençais à désespérer lorsque, à 6 heures, une éclaircie survint  ; j’arrimai à la hâte mon bagage, et mon compagnon étant résolu à prendre le train, je mis seul le cap sur le Midi, à tout hasard, sans bien savoir si j’irais jusqu’au bout. La descente sur Andance par Boulieu, Daveizieux et Saint-Cyr, dans une boue collante, mit ma patience à une rude épreuve, mais combien je fus récompensé en trouvant sur les bords du Rhône non seulement des routes convenables, mais encore un joli vent du Nord qui m’enlevait comme une plume et qui alla crescendo jusqu’au soir.
Prendre mon plus grand développement fut l’affaire d’une minute, et me voilà filant à grande allure vers un ciel sans nuages pendant que derrière moi l’horizon restait sombre et que la pluie allait continuer, deux jours durant, à tomber à torrents.
Je ne dirai rien du trajet Andance à Arles, dont j’ai maintes fois parlé et qui m’est devenu si familier que j’en connais presque toutes les bornes-fontaines. C’est la partie transport que l’on pourrait tout aussi bien faire en express si l’on était par trop pressé  ; mais avec le Mistral pour soi, on ne perd guère de temps à la faire par la route  ; ce n’est pas plus fatigant et c’est infiniment plus agréable.
[…]
« Saint-Mitre est le point culminant du tour de l’étang de Berre, une promenade dominicale très goûtée des cyclistes de Marseille, d’Arles et même d’Avignon. Istres, que nous atteignons bientôt, est remarquable par la fraîcheur de ses ombrages et par l’abondance de ses eaux, autant que par l’air de parfaite béatitude qu’on remarque chez ses habitants. Que ceux qui ont besoin d’une chemise d’homme heureux aillent la chercher à Istres, ils en trouveront à foison, et comme l’eau n’y manque pas, il y a des chances pour qu’elles soient propres. À Istres, nous nous séparons  : MM. les docteurs R... et M... et leur jeune compagnon se rendent directement à Saint-Chamas, tandis que je vais piquer droit sur les Baux, 33 kilomètres dans l’axe même du Mistral  ! La lutte sera vive, je me mets sur 3m,80, saisis les poignées basses de mon double guidon, me couche sur mon paquetage pour offrir le moins de surface possible, et en avant. Je m’applique à ne pas exagérer le travail, afin de n’être pas trop tôt claqué, et je marche à 11 kilomètres à l’heure. C’est peu, mais je sens que je n’arriverais pas à Entresens si je voulais forcer le train. La résistance que j’ai à vaincre est égale à celle qu’un coureur filant à 75 kilomètres à l’heure dans un air calme, éprouverait, car j’estime à 20 mètres au moins par seconde la vitesse du vent. Ce n’est pas de la petite bière  !
En dépit de l’économie avec laquelle je vide mon sac, à Mouriès, je sens que mon stock de kilogrammètres est épuisé, et je n’arrive à midi à Maussanne qu’à force de volonté. Deux heures 45 pour couvrir 30 kilomètres qu’en sens inverse j’aurais digérés, sans fatigue, en une petite heure  !  »
Vélocio, «  Excursion pascale des 29, 30 et 31 mars  », Le Cycliste, 1902, p.47-51

Lors de son excursion alpine de 1903 passant à la source du Rhône, voici ses techniques pour se protéger de la pluie :

 SIX JOURS EN SUISSE ET EN ITALIE, 1903

«  Voici quelles sont mes armes de défense contre la pluie, armes dont j’aurai malheureusement à me servir à plusieurs reprises.
J’ai allongé l’axe de la roue directrice de dix centimètres de chaque côté. Par une gaine et des crochets, je fixe à ces rallonges un tablier en tissu léger imperméable qui recouvre mon bagage attaché solidement au guidon et qui s’élargit en haut de toute la largeur (60 centimètres) de mon double guidon. Sous ce tablier, les jambes sont absolument à l’abri et je suis sûr de retrouver à l’étape mon bagage complètement sec, chose importante. En effet, s’il est sans danger de se laisser mouiller en marche par la pluie durant des heures entières, il ne le serait pas de garder à l’arrêt des vêtements mouillés. Quand on est assuré de trouver à l’étape des effets de rechange secs, on peut sans inconvénient endosser un maillot léger, un pantalon de bain, quitter ses bas et pédaler ainsi, aussi peu vêtu que possible, sous une pluie battante. Dès qu’on s’arrête, une bonne friction et des vêtements secs transforment en un excellent traitement hydrothérapique ce qui autrement risquerait de se terminer par une bronchite ou un gros rhume. Il importe donc avant tout de mettre son bagage à l’abri de la pluie.
Un autre moyen de supporter philosophiquement la mauvaise humeur de Jupiter Pluvius consiste à endosser simplement une pèlerine bien imperméable, en molleton plutôt qu’en caoutchouc. Pour que cette protection soit bien efficace, il faut entourer le bas de la pèlerine d’une lame ou d’un fil d’acier faisant fonction d’un ressort de crinoline. Grâce à ce ressort, la pèlerine s’écarte du corps et forme cloche, les jambes se trouvent absolument protégées. Rien ne s’oppose, lorsqu’on revêt la pèlerine, à ce que l’on quitte la veste et même le maillot afin d’emmagasiner le moins de chaleur possible sous cet étouffoir  ; car il faut combattre par tous les moyens l’élévation de la température.
Un moteur humain qui s’échauffe, c’est son rendement qui diminue  ; on s’en aperçoit très bien quand une pluie légère ou un vent frais vient à l’improviste rafraîchir votre épiderme surchauffé par le travail et par le soleil, vous vous sentez immédiatement ragaillardi, vos forces semblent avoir doublé et vous pédalez avec une vigueur toute nouvelle qui n’a d’autre cause que l’abaissement de la température de votre moteur.  »
Vélocio, « Six jours en Suisse et en Italie », Le Cycliste, 1903, p.141-146, p.173-179, p. 186-195

 EXCURSIONS DU “CYCLISTE”, 20 MARS 1904

«  Départ de la Digonniêre (octroi), à 4 heures précises. La République, Annonay, Ardois, Saint-Vallier, Saint-Donat. Hauterive, Épinouze, Serrières, Bourg-Argental, Saint-Étienne. Environ 2 m kilomètres et 2.300 m. d’élévation. Rentrée à 19 heures.
Un faux départ à 4 heures. La pluie nous surprend dès les premiers kilomètres de montée et nous ramène au logis. À sept heures seulement nous reprenons courage  ; nous étions trois à 4 heures, nous sommes huit maintenant, tous armés de bicyclettes polymultipliées et nous enlevons vivement, malgré la boue, les 7 ou 8 kilomètres de rampe qui conduisent au plateau de la République. La traversée des grands bois dans une boue épaisse à demi-congelée, est atroce, mais sur l’autre versant, changement à vue  ; un soleil radieux, un ciel sans nuages, un vent frais plus agréable que fâcheux, bien qu’il nous soit contraire, nous accompagneront jusqu’au soir.
Les trois heures perdues le matin nous empêche d’exécuter entièrement notre programme. À Sarras, après la descente des gorges de l’Ay qui, de l’avis général, méritaient une visite, nous filons directement vers Serrières, écourtant ainsi d’environ 50 kilomètres l’itinéraire fixé. Excellent déjeuner, trop copieux peut-être, à l’hôtel Ravon, bien connu des Stéphanois, et rentrée par Chavanay, la Croix-de-Montvieux et St-Chamond, à 18 heures et demie, sans autre mésaventure qu’une chute assez douloureuse et un éclatement de pneumatique qui nous firent perdre une petite heure.
En somme, bonne journée de balade printanière sur les bords du Rhône où les arbres fleurissent et les buissons bourgeonnent. Allons, le printemps est exact au rendez-vous et la nature va revêtir son manteau polychrome. Il m’a semblé qu’on a, de la Croix-de-Montvieux, une vue plus étendue que du col de Pavezin, et les cyclistes devraient moins négliger cet ancien passage entre les deux vallées du Gier et du Rhône, malgré la pente plus raide et l’altitude plus élevée.
151 kilomètres au compteur et 4 francs dépensés par tête pour toute la journée  : rien d’excessif, ni pour les jambes ni pour la bourse. A-t-on remarqué que dans nos excursions la dépense est en raison inverse du nombre de kilomètres parcourus  ? Encore un bon point pour la bicyclette comparée à l’automobile, ou simplement à la motocyclette.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste”, mars 1904  », Le Cycliste, mars 1904, p. 50-54, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_8

 EXCURSIONS DU “CYCLISTE”, 8 MAI 1904

«  Par un grand mouvement tournant, nous enlevons Fay-le-Froid d’où nous redescendons rapidement pour aller traverser une deuxième fois le Lignon. Puis un chemin raboteux, encaillouté, dur aux pneumatiques, nous amène, par une pente modérée, entrecoupée de quelques contrepentes et de raidillons que les rafales rendent presque infranchissables, aux Estables, chez le père Testud.
Il est onze heures et quart  ; vite, un bol de lait bouillant très sucré, des bâtons et en route pour le sommet. Nous passons devant, le chalet du syndicat, encore fermé, devant la maison forestière et, abandonnant le sentier, nous filons, à travers bruyères et pins rabougris sous lesquels s’étalent encore des flaques de neige, droit sur notre but. Un dernier effort et nous touchons la modeste pyramide déjà découronnée par la foudre qui marque le point culminant des Cévennes  : 1.754 mètres. Il nous a fallu exactement 48 minutes des Estables au sommet.
La vue est malheureusement limitée à 20 kilomètres environ. Les lacs d’Issarlès et de Saint-Front, les gorges de l’Ardèche, si pittoresques vues d’en haut, les Estables, Chaudeyrolles, quelques clochers dans le lointain et c’est tout. Ce n’est pas aujourd’hui qu’on pourrait apercevoir les 12 kilomètres de côtes méditerranéennes que le Syndicat du Velay signale dans son opuscule comme la limite de l’horizon dont on jouit du haut du Mézenc.
Sous les coups de vent qui nous assaillent, nous avons de la peine à nous tenir debout  ; nous nous reposons un instant sur le versant nord très escarpé et nous redescendons bientôt à une allure de promeneurs paisibles, juste au moment où le Mézenc se coiffe de son bonnet de brume, signe certain de pluie prochaine.
Un repas simple, mais copieux et substantiel, nous attendait chez Testud  ; nous lui faisons honneur et, à 14 heures et demie, nous partons. Déjà tombent quelques gouttes de pluie. À une allure folle, nous fuyons devant la bourrasque imminente  ; le vent nous pousse avec la même fureur qu’il mettait le matin à nous retenir  ; mais c’est en vain que nous espérons échapper à notre destin. Le mont d’Alhambre nous décoche une nuée d’où la pluie à flots et la neige à flocons serrés fondent sur nous. En un clin d’œil, nous sommes transpercés, tellement que l’un de nous s’étant jeté, pour éviter un cheval peureux, dans un fossé plein d’eau, n’en est pas sorti plus mouillé qu’avant sa chute.
La pluie cesse, le soleil reparaît  ; courte halte à Fay-le-Froid et vertigineuse pédalée jusqu’au Mazet  ; le vent et la vitesse ont presque séché nos vêtements quand nous entrons dans une zone de pluie sérieuse.
Il ne s’agit plus de giboulées et il faut endosser jambières et pèlerines imperméables  ; de Tence à Montfaucon, déluge  ; nous nous hâtons vers Riotord  ; il pleut toujours à verse et la route est un lac  ; nous filons par un joli chemin en pente douce sur Saint-Régis-du-Coin  ; la pluie cesse et le ciel s’éclaircit. Allons, la journée finira mieux que nous n’osions l’espérer. Mais quelle boue atroce dans les bois, entre Saint-Régis et les Trois-Croix  ! À qui donc incombe l’entretien de ce bout de route toujours en si mauvais état  ?
Nous atteignons enfin sains et saufs l’hôtel des Grands Bois, où les uns s’arrêtent pour passer la nuit, pendant que les autres descendent entre chien et loup à Saint-Étienne, où ils arrivent à 20 heures et demie, à peine en retard sur l’horaire prévu, malgré vent, pluie et mauvaises routes. Nous avons 188 kilomètres au compteur, sans compter l’ascension du Mézenc, pour 3 fr. 45 de dépense par tête.
Il y a seulement dix ans, quand on parlait, au Club Alpin, d’aller faire le Mézenc, il fallait prévoir autrement plus de temps et d’argent  !
La bicyclette a changé tout cela. Est-ce un bien  ? Est-ce un mal  ? Quelques esprits chagrins assurent qu’il est fâcheux qu’on puisse faire en une semaine Le Mézenc, le Ventoux et le Puy-de-Dôme avec 15 francs dans sa poche.
Ai-je tort de penser qu’il est plutôt heureux que de si belles excursions soient mises à la portée des plus modestes bourses  ?  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste”, 8 mai 1904  », Le Cycliste, mai 1904, p. 85-96, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_8

 NOËL, 1904

«  Notre allure est régulière et se maintient autour de 20 kilomètres à l’heure  ; un vent léger nous est contraire et le brouillard nous constelle de givre des pieds à la tête.
Nous ressemblons beaucoup à deux pères Janvier quand nous entrons dans Valence, où l’on nous regarde avec effarement. Des goujons roulés dans la farine ne sont pas plus blancs que nous  ; cependant, nous n’avons pas froid, une douce moiteur nous enveloppe et entretient la souplesse des muscles  ; nous achetons quelques gâteaux que nous croquons chemin faisant, et nous nous débarrassons des glaçons qui font de nos moustaches de vraies moustaches de Kalmoucks centenaires. Le soleil s’efforce de percer les nuages et le brouillard est moins froid. Nous aurons une belle journée qui nous donnera raison contre ceux qui, dès l’automne, relèguent au grenier leur bicyclette sous le prétexte qu’on ne peut pédaler agréablement que de mars à septembre.  »
Vélocio, «  Randonnées hivernales (Noël)  », Le Cycliste, 1904, p.32-36, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_8

 NOËL AU SOLEIL, 1905.

«  Pas de vent, ni pour ni contre, pendant les quatre jours que dura mon excursion  : c’est la première fois que cela m’arrive, et ma foi, tout compte fait, bien que le mistral soit un puissant allié pour qui descend de Lyon à Marseille, j’aime encore mieux m’en passer, car il est terriblement désagréable quand on l’a contre soi et même de côté.  »
«  Le temps est plus superbe que jamais. C’est bien la première fois que je passe 4 jours dans le midi sans avoir à souffrir du mistral.  »
Vélocio, «  Noël au soleil  », Le Cycliste, décembre 1905, Page 224 à 230, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_8

 EXCURSION PASCALE, 1909

«  Quand on est libre de choisir son jour et son heure, on s’arrange en général pour partir dès que le vent devient favorable  ; c’est autant de gagné  ; peut-être sera-t-il contraire au retour, on n’en aura pas moins débuté par une bonne journée. Mais quand on est forcé de partir à date fixe, il faut bien se contenter du temps qu’il fait et du vent qui souffle. C’est ce que je fis le 9 avril dernier, puisque j’avais résolu de partir ce jour-là pour une excursion de quatre jours, au cours de laquelle j’allais revoir une succession de sites variés dont je ne me lasse pas. Pendant ces quatre jours, le vent ne me fut franchement favorable que de loin en loin, souvent il fut contraire et plus souvent encore nul, aussi ma vitesse de marche s’en trouva-t-elle réduite, mais comme je ne m’étais imposé que des étapes modestes, je pus venir à bout de mon itinéraire dans d’excellentes conditions.  »
Vélocio, «  Excursion pascale  », Le Cycliste, 1909, p.98 à 101, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_10

 5 JOURS EN MONTAGNE

«  Nous partons donc de la gare de Genève après un petit déjeuner, à une heure, et la lune nous éclaire, nos lanternes aussi car, en Suisse, on attrape assez facilement des contraventions  ; mais la lune est fréquemment voilée par des nuages noirs qui ne présagent rien de bon  ; le sol n’est pas très bon, il est ici boueux, là, on empierre et, plus loin, nous recevons quelques gouttes, premier avertissement. Le tonnerre gronde bientôt et les éclairs fusent au loin devant nous, deuxième avertissement. La lune a maintenant complètement disparu  ; on y voit comme dans un four  ; un passage à niveau se présente et, tout à la fois, troisième et dernier avertissement, je tressaute sur je ne sais quoi, mon pneu est à plat en un clin d’œil, ma lanterne s’éteint, mon grelot va se balader sur la voie et, après un éclair éblouissant et un coup de tonnerre assourdissant, une pluie torrentielle  ; tout cela en moins d’une minute.

La maison du garde-barrière était là, par bonheur, fermée naturellement car les trains ne circulent pas pendant la nuit, mais nous pûmes, en nous serrant et en endossant les manteaux, nous mettre à l’abri sous un étroit auvent. Nous restâmes là, une heure jusqu’à ce que, une cloche ayant annoncé l’approche d’un train, le garde vint ouvrir et nous invita à entrer. Le jour était venu, blafard, sous un ciel inquiétant  ; l’orage, très violent avait fini en pluie fine, intermittente, qui menaçait de durer. On répara d’abord le pneu grièvement blessé par un éclat de fer et, sans enthousiasme, on repartit. Je me souviens d’un arrêt assez long à Evian, devant le port, sous un refuge où Thorsonnax aurait volontiers fait un somme si, la pluie ayant fait trêve un moment, je n’avais sonné le boute-selle.
Du Simplon-Express il n’était plus question dans les propos plus ou moins décousus et larmoyants que nous échangions. À Meillerie, le besoin d’un second petit déjeuner se fit sentir et nous l’obtenons, de qualité médiocre et peu copieux, dans un hôtel de troisième ordre. Il pleuvait toujours par intervalles et les nuages blancs se balançaient aux flancs des montagnes, mauvais présage. On déjeuna longuement et je crois même qu’on fit un léger somme sur la table, après quoi l’hôtelière nous fit payer le prix fort du déjeuner suisse, excellent et copieux, soit 1 fr. 25  ! Nous avons infiniment mieux que cela dans nos montagnes pour cinquante centimes.
Ce fut la chiquenaude qui fixa nos indécisions.
Comment  ! nous ne sommes pas encore en Suisse et on nous rançonne déjà et par ce temps du chien  ! Rentrons chez nous dare dare, on ira au Stelvio une fois de plus.
Et nos guidons se tournèrent vers Evian, Thonon, Douvaine. Nous dûmes nous abriter deux ou trois fois pour laisser passer des averses, mais le ciel s’embleutait devant nous et nous rentrions à midi à Genève avec du soleil plein les rues.  »
Vélocio, «  5 jours en montagne  », Le Cycliste, 1911, p. 228 à 232 et 249 à 251, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_11

 UNE DE PLUS, JUIN 1912

«  Une de plus  ! Une quoi  ? Eh donc, une de ces étapes de 40 heures qui sont, pour tant de cyclistes, l’abomination de la désolation, parce qu’ils n’ont pas encore essayé de les faire dans les conditions requises, c’est-à-dire sans se fatiguer anormalement, selon la méthode de l’École stéphanoise. Le temps était loin d’être engageant quand nous partîmes, mais nous ne sommes pas libres de choisir notre heure et notre jour et les fêtes de la Pentecôte tombant les 26 et 27 mai, nous devions pédaler ces deux jours-là seulement. Or, il plut, dans nos montagnes et dans la vallée du Rhône, très abondamment jusqu’à minuit et j’avais fixé le départ à 2 heures du matin  ! Le mauvais temps me valut de me trouver seul au départ de La Digonnière (2 h. 20) alors que nous devions être trois. Ch., mon compagnon à Pâques, était parti la veille et ne devait me rencontrer qu’entre Gap et Briançon, après avoir fait un circuit un peu plus long. Je devais aussi trouver en cours de route M. G., le jeune fonctionnaire qui nous avait accompagnés de Sisteron à Pugel-Théniers, et un randonneur, lyonnais L., qui ne se montra point, mais qui passa pourtant au Lautaret peu de temps après nous.. Mon programme consistait à pédaler pendant 40 heures autour du Dauphiné, par Valence, Die, Gap, le Lautaret, Grenoble, Givors, et de rentrer à Saint-Étienne avec 610 kilomètres de plus à l’actif de ma chaîne flottante qui a vu déjà, pas mal de pays  »
Vélocio, Le Cycliste, Juin 1912, p. 125-133, Source Archives départementales de la Loire cote PER1328_12

 RANDONNÉE PASCALE, 1913

«  Pâques tombant le 24 mars, tout allait bien  ; mais le 23 fut un jour à ne pas mettre un chien dehors... Et nous ne fûmes que trois, le dimanche matin, à 3 heures. Il pleuvait encore comme il avait plu toute la nuit, comme il allait pleuvoir tout le jour. Nous décidons de retarder le départ jusqu’à 6 h, d’autant plus qu’un boyau avait rendu l’âme  ; nous réintégrons les bureaux du Cycliste.. À 6 h il pleut toujours... j’endosse mon caoutchouc — que je ne quitterai que ce soir à 18 h, à l’Hôtel Blanc, à Loriol — et en route. Mes deux compagnons, deux jeunes et vaillants cyclotouristes parisiens, sont pitoyablement montés pour affronter le mauvais temps  ; ils ont des machines à boyaux, pas de garde-boue, un bagage réduit au strict minimum, trois vitesses par chaîne flottante — le pire des changements de vitesse dans ces conditions du fait de la projection de la boue sur une chaîne détendue. J’avais aussi le même changement de vitesse par chaîne flottante qui, grâce à mon garde-boue, ne m’a pas joué de vilains tours  ; comme quoi il faut que tout perfectionnement soit entouré des précautions qui lui sont indispensables et protégé contre ses ennemis. Nous nous ralliâmes une première fois à la République autour d’un lait chaud qui fut le bienvenu, et nous allions repartir quand nous voyons arriver, venant de la vallée du Rhône, notre but immédiat, un randonneur stéphanois dont la bicyclette est couverte d’une belle couche de neige. — Mais d’où sortez-vous  ? Où avez-vous trouvé tant de neige, alors qu’ici nous n’avons que de la pluie  ?... — Hélas  ! s’écrie-t-il, de l’autre côté de la montagne, où je m’attendais à voir le soleil, je n’ai rencontré qu’une brume épaisse et une neige aveuglante  ; j’ai lutté jusqu’à Bourg-Argental, et je rentre découragé... J’avais bien envie d’en faire autant, mais je cède à l’enthousiasme de mes compagnons, enchantés de cette occasion, rare pour eux, de voir la montagne sous la neige. Et certes ils ne furent pas déçus. Les bois étaient superbes sous leur manteau, et la terre était, à perte de vue, couverte de dix centimètres de neige, dans laquelle nous roulions très doucement. R... filait devant quand un des boyaux de Cl... se décollant, nous obligea à nous arrêter un bon quart d’heure, dans une ferme, pour remplacer le chatterton. Il faut remplacer ce ruban toutes les fois que l’on change de boyau et Cl..., le matin même, avait négligé de le faire, si bien que son boyau glissa  ; peu à peu, il commença à former hernie près de la valve. C’est là une précaution à ne pas négliger et que doivent prendre tous ceux qui viennent au boyau, sinon ils s’exposeraient à quelque accident. Nous nous ralliâmes une seconde fois à Bourg-Argental, puis une nouvelle fois encore à la bifurcation de Boulieu, car à la descente, sous la pluie et dans la boue, de moment en moment plus épaisse, on pédalait un peu en égoïste. Nous naviguâmes alors de compagnie, sans être en aucune façon gênés par les cyclistes ou par les autos jusqu’à Andance, où le passage à niveau fermé nous arrêta quelques minutes à dix heures et quart  ; jusqu’à Saint-Jean-de-Muzols, où un beau clou dans un collé de Cl... arrêta mes deux compagnons, qui n’allèrent ensuite pas au-delà de Valence... et bien ils firent. À tout hasard, avant de prendre congé, je leur explique que si, dans le vrai Midi, c’est-à-dire après Donzère, je trouve le soleil, j’irai directement aux Baux, Hôtel de la Reine Jeanne, où je les attendrai jusqu’à 22 heures  ; mais que si le temps, là-bas, est aussi mauvais qu’ici, je reviendrai sur mes pas jusqu’à ce que je les rencontre. Puis, dépouillant la mentalité du randonneur par plaisir, j’endosse celle du randonneur par hygiène, et cela suffit pour que de morose, je redevienne gai et que je repédale avec plus d’entrain que jamais. J’avais emporté deux cents grammes de pain complet, que je croquai lentement en mastiquant consciencieusement  ; à Valence, j’achetai deux cent cinquante grammes de dattes et deux bananes avec quoi je m’alimentai jusqu’au soir. À Livron, à Loriol, il pleut encore, puis j’ai un moment d’espoir, le ciel est moins chargé  ; à Montélimar, la pluie cesse et le mistral commence à pousser vigoureusement, si bien qu’en trente-cinq minutes, j’enlève les quatorze kilomètres — dont trois de montée — qui me séparent de Donzère. Il y a là une ligne de démarcation, très nette, entre la partie haute et la partie basse de la vallée du Rhône, et l’on a souvent constaté que beau temps en deçà des collines que le fleuve a éventrées entre Châteauneuf et Viviers, signifie mauvais temps au-delà. Aussi m’attendais-je presque à voir le soleil à Donzère, or je vis, ou pour mieux dire, j’y reçus une averse torrentielle, et aussi loin que les regards pouvaient porter on n’apercevait, sur tout le Midi, que brumes, nuages et horizons zébrés par la pluie. Plus d’hésitation  ; les abonnés du Cycliste qui avaient bien voulu m’annoncer qu’ils se joindraient à notre caravane n’ont pas dû se déranger à cause du temps aussi mauvais chez eux que chez nous  ; il est d’ailleurs 15 h  ; tournons bride et rentrons. Je gravis non sans peine, sur une petite vitesse, ce que je venais de dévaler en roue libre, à quarante à l’heure, puis je plaçai ma chaîne sur la moyenne vitesse et j’arrivai à Loriol à 18 h. Trente-six kilomètres en trois heures  ; le mistral n’est pas un mince adversaire et, par surcroît, la pluie faisait son apparition de plus belle. Je passai dans un bon lit de l’Hôtel Blanc, la nuit que je m’étais proposé de passer au clair de lune, et l’hygiène y trouva sans doute son compte, car jamais je ne pédalai avec autant d’entrain et de plaisir que le lendemain pour rentrer de Loriol à Saint-Étienne, où j’arrivais à 15 h, avec exactement trois cents kilomètres de plus à l’actif de ma chaîne flottante. C’est faible, en tant que randonnée, mais en tant que promenade hygiénique, c’est parfait, et je classe mon excursion pascale de 1913 parmi celles dont on se souvient longtemps. J’y ai d’ailleurs gagné quelque expérience du point de vue du bagage à emporter pour une randonnée de deux ou trois jours. Autrefois, je me chargeais d’un tas de choses, cette fois je n’emportai que trois mouchoirs dans une poche, du pain dans l’autre poche, ma sacoche à outils et, dans un petit paquet roulé derrière la selle, ma pèlerine et une chambre à air. Je regrettai seulement, à cause de la pluie, de n’avoir pas emporté mes jambières caoutchoutées. Simplifions et allégeons.  »
Vélocio, «  Randonnée pascale  », Le Cycliste 1913, Le Cycliste, 1963, Rétrospective, p.181 

 SAINTE-BAUME ET VENTOUX, 1913

«  À 13 heures et demie nous franchissons le col des Grands Bois (13 kilom.) et à 14 h. 35 nous sommes à Andance (50 kilom.). Les 37 kilomètres de descente ont été menés à grande allure, et pourtant nous avions dû marquer plusieurs arrêts de quelques minutes. Une auto qui nous avait dépassés au col, fut dépassée à son tour, au grand mécontentement de son conducteur, qui, vexé, joua de son accélérateur et nous distança rapidement. Au cours d’une randonnée, ces légers incidents amusent. Sur les bords du Rhône, nous trouvons un vent du nord-est qui, sans être franchement favorable, nous aide le plus souvent et, par Tain nous sommes à Valence à 16 heures et quelques minutes. Le ciel s’assombrit, la pluie est imminente  ; nous l’attendons de pied ferme, car nous l’avions prévue, et nous avions emporté pèlerine et jambières, que nous revêtons entre Livron et Loriol. Notre tandem à de larges garde-boue et la pluie, bientôt très dense, ne nous empêche pas de rouler à bonne allure. Le Whippet se comporte mieux que je ne m’y attendais  ; la boue, de moment en moment plus épaisse, les flaques d’eau plus nombreuses, rien n’empêche la chaîne de dérailler promptement. Nous avons là, en définitive, un bon système de changement de vitesse pour tandem, et tous les Whippet qu’on trouve sur le marché semblent aussi bons les uns que les autres. Nous n’allumons les lanternes qu’au passage à niveau de Mondragon  ; un express nous dépasse un peu plus loin  ; très joli ce défilé de wagons brillamment éclairés dans la nuit, à toute vitesse. L’obscurité et le mauvais état du sol ne nous permettent plus de rouler à vive allure, et notre fin d’étape qui devait être le pont de Bompas, sera tout simplement Orange. Avant Mornas, une grande ombre à bicyclette nous croise  ; c’est un compagnon, qui nous arrive, M. V.-B..., descendu des Baux à notre rencontre pour être des nôtres jusqu’au, lendemain soir. Il monte une légère B S A, à pneus collés et 3 vitesses par chaîne flottante, doigt d’acier, décrocheur et guide de chaîne, bref, avec tout ce qu’il faut pour que ce système extrasimple fonctionne irréprochablement  ; il n’a malheureusement pas de garde-boue, et quand nous descendons à 20 h. 45 à l’hôtel de la Gare où nous trouvons un groupe de nos concitoyens venus en auto, et que nous comparons les effets de la boue sur nos personnes respectives, nous nous applaudissons, Ch.., et moi, de nous être armés de jambières et de garde-boue. Notre temps total de Saint-Étienne à Orange (188 kilomètres) est de 8 heures et quart, et mon record de 7 h. 45 en 1903 à bicyclette n’est pas atteint. Sans la pluie nous l’aurions certainement battu, bien que le vent nous ait été moins favorable qu’il ne le fut il y a dix ans.  »

 HYGIÈNE ET PHILOSOPHIE, 1921

«  Pour l’instant, je suis grisé par les senteurs pénétrantes des genêts, dont les abords de la route sont couverts et je me laisse rôtir le dos, les bras et le crâne par un soleil de feu. À Saint-Julien, tous les habitants sont sans doute à table et à Saint-Martin-de-Valamas ils ne l’ont pas encore quittée, aussi puis-je rouler tranquillement  ; ni voitures, ni autos, à peine quelques piétons. Mais au Cheylard, je trouve quelque animation et l’on s’y attend à l’orage pour l’après-midi. J’active l’allure, afin de m’éloigner aussitôt que possible de la montagne où il me semble voir, en effet, des nuages de mauvais augure, j’aborde à grande vitesse un passage semé de petits silex et mon pneu arrière rend l’âme. Je suis à cinq ou six kilomètres de Saint-Sauveur, là où la gorge se resserre à ne laisser de place qu’à la route et au torrent qui roule en contre-bas sur des roches polies d’une éclatante blancheur. La réparation est assez longue, il faut dégager entièrement la chambre et faute d’eau, la passer à deux reprises à l’oreille et devant la bouche en l’étirant pour découvrir le trou. Quand je veux regonfler, impossible  ; je redémonte la valve qui est une Michelin 1918 et je constate que le tampon obturateur est passé du fond du bouchon dans le canal même de la valve. C’est la deuxième fois que cela m’arrive et ces nouvelles valves démontables, supérieures aux autres par certains côtés, risquent de nous jouer de bien mauvais tours. J’aurais ainsi été très embarrassé si je n’avais eu la précaution d’emporter quelques tampons obturateurs de rechange, qui me tirèrent promptement d’embarras. On peut à la rigueur remplacer momentanément ce tampon par du papier bien tassé, un morceau de caoutchouc ou de cuir, ce sont là remèdes précaires qui peuvent pourtant vous ramener au logis  ; mais il y a dans la partie démontable de cette valve une certaine rondelle obturatrice dont le rôle est encore plus important et qu’il est impossible de remplacer par des moyens de fortune, j’en ai fait la cruelle expérience. Morale  : ayez toujours en poche valves, tampons et rondelles de rechange quand vous avez sur vos chambres à air des valves Michelin.
Après cet accident, je roule plus prudemment et par conséquent moins vite, si bien que je ne tarde pas à entendre de sourds grondements  ; le soleil disparaît et quelques gouttes d’eau m’atteignent. L’orage s’approche, à St-Fortunat, je prends la pèlerine que je mets comme d’habitude sens devant derrière avec mon veston dans le capuchon, ce qui présente deux avantages, d’abord de tenir celui-ci bien au sec, ensuite d’éloigner la pèlerine, du corps et de l’élargir en parapluie sur le guidon et le bagage qui y est attaché. Je suis ainsi très bien paré contre la pluie qui ne vous atteint que très rarement par derrière, de sorte que l’on n’a pas besoin de boutonner sur le dos et que, l’air circulant entre peau et caoutchouc, on n’est pas incommodé par le manque d’évaporation qui rend si désagréable et si antihygiénique le port des pèlerines caoutchoutées. Les genoux même sont protégés par les sacs suspendus au guidon, qui forment tablier, écartent le bas de la pèlerine et l’empêchent de dégoutter sur les jambes  ; seuls les pieds sont mouillés et crottés quand je ne les recouvre pas de guêtres  ; j’en suis quitte alors pour changer de bas, à moins que, prévoyant une longue douche, je ne les aie préalablement quittés pour rouler pieds et mollets nus, ce qui est, d’ailleurs, éminemment agréable et hygiénique.
Je n’en viens pas aujourd’hui à ces grands moyens, parce que j’ai l’intention de faire halte à Beauchastel et d’y attendre la fin de l’orage devant une substantielle collation. Les 200 grammes de pain qui m’ont nourri depuis Saint-Étienne, sont digérés, assimilés, volatilisés le long des 150 kilomètres que je viens de cycler, comme disait Jules G.
Mes pensées, malgré la pluie et le tonnerre, étaient donc plutôt gaies. Depuis St-Fortunat, la cueillette des cerises m’intéressait et s’il n’avait plu, je me serais arrêté pour en manger. La végétation dans la basse vallée de l’Eyrieux est d’une richesse, d’une exubérance, d’une luxuriance extraordinaires. On s’y croirait à cent lieues des plateaux arides, rocheux et froids qui s’étendent entre Saint-Agrève et le Mézenc.
Tout à coup, la pluie devient diluvienne une cyclettiste me dépasse, entraînée par la bourrasque et la descente légère, les cueilleurs de cerises laissent là leurs paniers et courent se mettre à l’abri, j’accélère aussi et... mon pneu avant s’affaisse brusquement. J’avoue avoir eu un moment de mauvaise humeur devant la persistance de la guigne. Mais je fais appel à la philosophie, qui nous enseigne à ne voir les choses que par leur bon côté et à nous dire qu’il pourrait nous arriver bien pis que ce qui nous arrive, et c’est la vérité. Je mets pied à terre, l’endroit était tout à fait désert, et les arbres transpercés ne pouvaient m’offrir le moindre abri. Mais j’aperçois soudain, sur le bord de la route, à quelques mètres, une baraque en planches, munie d’un auvent assez large pour nous abriter, ma machine et moi. C’est encore un silex qui a piqué et perforé enveloppe et chambre  ; il me faut donc recommencer l’opération de tout à l’heure et je passe là vingt bonnes minutes  ; je ne me presse d’ailleurs pas, car je me trouve là mieux que sous la douche dont la violence s’apaise peu à peu.
Je traverse bientôt Saint-Laurent-du-Pape, et me voici enfin, à 16 heures, à Beauchastel où je comptais me reposer tranquillement... Or, je tombe en pleine fête balladoire, baraques de foire, exhibitions diverses, dancing sous des tentes, fuite éperdue des danseuses en bas ajourés, souliers blancs et robes claires, cafés et restaurants bondés de consommateurs qui crient, qui chantent, maudissent le mauvais temps. Je ne pouvais certes pas tomber plus mal au point de vue de ma tranquillité, mais cette cohue va m’amuser et me faire trouver moins longues les deux heures moins un quart que je passe à Beauchastel, où je me leste simplement de pain et de fromage, une bouteille de bière et une tasse de café complètent le casse-croûte dont le prix, 2 fr. 25, m’a paru très modéré (hôtel du Commerce, recommandé).
À 17 h. 45, il pleut encore, mais l’orage a évolué et le tonnerre gronde au loin dans la direction du Vercors  ; je vous laisse à penser en quel état est la route après un tel déluge et combien mes pauvres pneus, qui craignent l’eau, vont la trouver mauvaise. Je repars quand même, sous la pèlerine, et, le vent du midi aidant, je vais assez bon train. Je rencontre çà et là des cyclotouristes qui paraissent avoir été copieusement arrosés, autour de Tournon, la route est un lac  ; il ne pleut pourtant plus depuis un moment  ; les flaques d’eau alternent ensuite avec les coulées de boue et les caniveaux fréquents entre Tournon et Andance, où j’aurais dû arriver suivant mes prévisions à 17 heures au plus tard, afin de pouvoir franchir le col des grands bois avant la nuit. Deux coureurs me dépassent à très vive allure et j’admire l’adresse avec laquelle ils contournent les trous pleins d’eau, bondissant d’un côté à l’autre de la route, quand ils aperçoivent un peu de terrain convenable. L’obscurité, accentuée par les nuages qui parcourent le ciel et qui, de temps en temps, laissent tomber des gouttes d’eau, croît si vite, qu’à Sarras, à 20 h. ¼, je juge à propos de m’arrêter, il me reste à faire 60 kilomètres que je remets au lendemain et qui, dans la fraîcheur matinale, termineront agréablement une excursion fertile en incidents propres à entretenir en moi l’hygiène, source de la santé physique et la philosophie source de la santé mentale.  »
Vélocio, «  Hygiène et philosophie  », Le Cycliste, 1921, p.37-42, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/3

 RANDONNÉES EXPÉRIMENTALES, 1921

«  Le soleil se leva bientôt, au milieu de rouges nuées qui ne présageaient rien de bon. Soleil rouge le matin, pluie ou vent sont en chemin, dit-on avec raison. De vent, je n’en sentais point et les nuages s’amoncelaient  ; allais-je donc subir encore une journée de pluie  ! À Tournon, je franchis le Rhône et je sentis que le vent du nord s’élevait, c’était le beau temps assuré.  »
Vélocio, «  Randonnées expérimentales  », Le Cycliste, Sept 1921, p.65-70, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/3

 RANDONNÉE PASCALE, 1923

«  À Andance, je constate que je n’aurai pas le vent favorable sur lequel je comptais un peu, il souffle de l’est et me sera le plus souvent latéral, contraire quelquefois quand, par exemple, avant Orange, la route est orientée vers le sud-est. Je franchis le Rhône à Tournon  ; le temps qui, jusque-là était resté indécis, s’affirme nettement très beau, nous aurons un jour glorieux, comme disent les Anglais  »
Vélocio, «  Randonnée Pascale  », Le Cycliste, juillet-août, 1923, p.73-75 Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_14

 MON 14 JUILLET, 1923

«  Je ne trouve sur les bords du Rhône aucune fraîcheur  ; le vent du midi, dont la force va croître rapidement et me retarder beaucoup, est déjà chaud  ; jusqu’à Tournon, route acceptable, mais de Tain à Valence, le sol a été ravagé et les bas-côtés où j’avais pu rouler facilement le 1er avril, sont maintenant pleins de sable  ; obligé de rester sur la chaussée, je suis rudement secoué et je ne pourrai presque jamais utiliser la 4e vitesse de ma randonneuse bi-chaîne-flottante. Après Tain, la chaleur est accablante, quoiqu’il soit à peine 7 heures, et ma lutte contre le vent me vide assez pour que je sois obligé de déjeuner à Pont-d’Isère (bière et fromage, à défaut du traditionnel café au lait impossible à obtenir là). Je ne quitte Valence qu’à 9 h. 30 en tenue ultralégère et, déjà sur le crâne, la serviette mouillée des grands jours caniculaires, qu’il faudra tous les dix kilomètres retremper dans l’eau tant est rapide l’évaporation. Je vais à Crest par Beaumont et Montmeyran, jolie petite route dont, avec temps frais et léger vent du nord, on a vite franchi les 30 km. Mais ne songeons pas aujourd’hui à ces précieux adjuvants  ! Il faut, sous un soleil de feu, contre la poussière brûlante que le siroco me souffle au visage, arracher péniblement kilomètre par kilomètre  ; les plus légères montées m’obligent à recourir à ma 1re vitesse de 3 m. 40 et, fatigué par cette lutte incessante, je me repose un instant sur l’herbe rôtie à l’ombre d’un arbre isolé, en pensant aux frais ombrages et aux ruisseaux d’eau vive que j’ai laissés aux grands bois. De l’eau  ! après Montmeyran, je n’en verrai plus jusqu’à Crest, où je puis enfin m’ablutionner abondamment. J’achète une livre d’abricots délicieux et je continue.   »
Vélocio, «  Mon 14 juillet  », Le Cycliste, Sept.-Oct. 1923, p.89-92, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/4

 EXCURSIONS DU “CYCLISTE”, SEPTEMBRE OCTOBRE 1926

«  J’ai déjà fait bien souvent la côte de Planfoy à toute heure et par tous les temps, mais je ne l’avais, à coup sûr, jamais faite dans des conditions atmosphériques aussi pittoresques que celles qui m’y ont assailli dimanche dernier. Et cela prouve une fois de plus qu’on a beau faire et refaire les mêmes itinéraires, repasser devant les mêmes paysages, on ne les revoit jamais sous le même aspect et dans le même état d’âme. On aurait donc tort de s’en lasser, et les cyclistes qui se plaignent de ne savoir plus où aller, sont de ces hommes qui ont des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre ce que leur montre et ce que leur dit la Nature toujours changeante, toujours nouvelle, toujours imprévue dans ses manifestations.
Pour les deux jours de fête que la Toussaint nous a octroyés cette année, j’avais mis au tableau une visite rapide à la Trappe d’Aiguebelle.
J’allais y dîner le dimanche soir, assistais à la cérémonie nocturne, toujours très émouvante, et j’en revenais le lundi, ci 300 km. en deux jours, mais des jours d’à peine dix heures, pour qui ne veut pas marcher à la lanterne. Le vent du sud qui soufflait en tempête éteignit mon ardeur. Je ne me sentis pas d’humeur à lutter pendant 150 km. contre un tel adversaire qui, manifestement, n’était que l’avant-garde d’une pluie diluvienne.
Tout bien pesé, le plus sage était donc d’aller passer la journée dans les grands bois à cueillir des champignons dont je suis, je l’avoue, très friand et qui, d’ailleurs, conviennent parfaitement à une maladie que j’ai contractée voilà trente ans bien sonnés et qui m’emmènera un jour ou l’autre au sommet du Ventoux après avoir passé par le four crématoire. Cette maladie consiste à s’abstenir de vin, de viande et de tabac, à vivre, en végétarien strict, ce qui semble à beaucoup de bons esprits le comble de l’aberration. Or, les champignons dont nos bois abondent, apportent pendant trois ou quatre mois de l’année, un agréable supplément à mes menus quotidiens et s’intercalent heureusement entre les pommes de terre, les pois chiches, le lait caillé et le pain qui constituent l’habituelle nourriture des végétariens.  »
[...]
« ...nous nous trouvâmes deux au pied de la côte, le 31 octobre, au petit jour, en partance pour le col des grands bois. Nous avions ce qu’il fallait pour lutter contre le vent  : mon compagnon, six vitesses par moyeu B. S. A. et flottante, et moi, quatre vitesses par axe intermédiaire, avec, l’un et l’autre, 2 m. 50 comme plus petit développement. Jusqu’à Bicêtre, nous n’eûmes à lutter que contre le vent, qui dans ces gorges, s’engouffre de telle façon qu’il change fréquemment de direction et devient parfois favorable. Ce vent était chaud et j’avais pris, dès le départ, la tenue légère, la tenue du boulanger qui se prépare à ahaner. D’ailleurs, nu jusqu’à la ceinture, on n’expose pas à l’air autant d’épiderme que n’en exposent, à nos regards amusés et indulgents, nos élégantes mondaines en tenue de gala. Et j’en exposerais volontiers davantage si ce n’était du décorum dont Cicéron nous marqua les règles jadis, car la peau respire autant que les poumons, et c’est un crime de lèse-santé que de l’étouffer sous trop de vêtements.
En approchant du point Fissemagne, nous entrons dans une zone calme qui nous permet de respirer et d’admirer le décor automnal, très beau ici par la variété des teintes qui vont du jaune clair au rouge foncé et, sur le fond noir des sapins, étendent de mouvantes et légères dentelles tissées d’or et de rubis qu’un rayon de soleil ferait flamboyer. Mais, le rayon de soleil ne se montre pas et c’est autre chose qui nous attend un peu plus loin. À peine avons-nous, à Bicêtre, quitté l’abri des gorges où le vent était, en somme supportable, que nous somme secoués, poussés, bousculés par un véritable ouragan  ; en même temps se déclenche une pluie torrentielle qui nous cingle terriblement  ; avec mon 2 m. 50, je puis tenir bon, mon compagnon met pied à terre pour se couvrir  ; je suis, quant à moi, dans le costume le mieux adapté au bain qui nous tombe du ciel et ma pèlerine n’abrite que les effets de rechange que je serai bien aise de retrouver secs tout à l’heure  ; je continue donc, cramponné au guidon et plié en deux pour offrir moins de surface à la tempête qui résultait, je ne le sentais que trop, d’un conflit entre les deux éléments. La pluie disait au vent  : je t’abattrai, et le vent disait à la pluie  : je te chasserai.
J’arrive pourtant au bout de la montée et j’essaie, sur le plateau, de reprendre un plus grand développement, pour me tirer au plus vite de ce guêpier. Vains efforts, la bataille devient équipe, mon 2 m. 50 seul me permet de résister  ; les arbres ploient et craquent, les deux adversaires se servent d’arguments de plus en plus violents et, comme ces orateurs, fougueux qui martèlent leurs pupitres, ils frappent à coups redoublés sur le crâne, sur les bras, sur le dos, d’un pauvre cycliste qui n’en peut mais.
J’ai lu, le lendemain, dans les journaux, que cette pluie contenait du sable et de la boue apportés d’Afrique par le siroco. Je n’en suis pas surpris tant je fus mitraillé, et la température ne laissait pas supposer que ce fût par de la grêle.
Quand je pus enfin me mettre à l’abri, j’étais cramoisi et je me demandais si j’aurais pu longtemps encore supporter cette épreuve qui n’avait guère duré qu’un quart d’heure. Mais la nature veille sur ses amants et ne leur donne que juste ce qu’il faut pour les tenir en bonne santé. Le fait est qu’après une telle douche-fustigation et le vigoureux massage qui la suivit, je me sentis tout le jour invigorated, comme dirait un Anglais.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste”  », septembre octobre 1926, p.85-98, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/3

 RANDONNÉE PASCALE, 1928

«  Nous nous étions pourtant trouvés douze au départ, à 2 heures, au col des Grands-Bois, mais la pluie et le vent contraires, qui ne nous firent pas grâce un instant, découragèrent les uns après les autres tous mes compagnons, et je finis par échouer seul, à 18 h. et quart, à Lambesc, arrêté par la nuit  ; j’eus beaucoup de peine à trouver un lit et je ne l’obtins qu’à la condition de ne partir le lendemain qu’à 6 heures, attendu qu’au Lion-d’Or les voyageurs sont boudés comme dans une prison, que tout est fermé, verrouillé, cadenassé, gardé par des chiens féroces, jusqu’à 6 heures bien sonnées  ; cette condition draconienne m’enlevait ma dernière chance d’arriver à la Sainte-Baume. S’il avait fait beau temps, en parlant comme la veille à 2 heures, le hasard m’aurait fait trouver sur la route Hormuth, qui passa justement à 2 heures à Lambesc, et je serais arrivé avec lui à l’Hôtellerie. Mais Jupiter Pluvius en avait décidé autrement et il me réservait un dernier tour de sa façon pour vaincre mon entêtement à vouloir quand même arriver à la Sainte-Baume et pour m’obliger à tourner bride.
Parti, en effet, à 6 heures et quart, en même temps qu’un automobiliste qui venait de Roanne et qui m’apprit, par son compteur, que j’avais fait la veille 280 km., ce qui le surprit fort, vu qu’il n’en avait fait que 80 de plus que moi et qu’il avait trouvé l’étape bien longue, je me trouvais une heure plus tard aux portes d’Aix. J’entends par là le sommet de la descente rapide et dangereuse (une auto s’y était écrabouillée la veille) qui, de ce côté, amène les voyageurs au cœur de la vieille ville romaine.
J’avais eu jusque-là, encore plus que la veille, le vent et la pluie contre moi et j’avais pu franchir Saint-Gannat, ce que je tiens pour un haut fait, vu l’état de la chaussée pendant la traversée de ce village. Un éclair brilla soudain  ; j’avais déjà entendu un lointain grondement  ; la menace se précisait  ; je n’hésitai pas une seconde  ; je sais ce qu’est un orage dans le Midi  ; je fis demi-tour, et le vent, devenu enfin favorable, me fit refaire à 70 à l’heure les quelques kilomètres que je venais de faire péniblement à 15 à l’heure, qui me séparaient d’un café que j’avais repéré en passant.
Deux, trois éclairs fusèrent encore, suivis de coups de tonnerre de plus en plus rapprochés, et j’entrai sous l’auvent protecteur au moment où la pluie torrentielle se déclenchait, entremêlée de grêlons et accompagnée d’un tintamarre inquiétant. Je déjeunai, je vis passer un train, car il y avait là une petite gare et, à 8 heures, ayant dit adieu définitivement au meeting pascal de 1928, je me laissai pousser par le vent dont l’orage avait encore augmenté la violence.  »
Vélocio, «  Randonnée pascale  », Le Cycliste, mars-avril 1928, p. 31-33, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_15

 EXCURSIONS DU “CYCLISTE”, MAI JUIN 1928

«  Quand nous descendons la vallée du Rhône, le vent est toujours un facteur important, à tel point que s’il est violent et contraire, le mieux est d’en rester là, ou de s’aider d’un rapide jusqu’en Avignon. S’il est violent et favorable, alors, c’est la course folle, et l’on regrette de n’avoir pas un développement de 10 mètres, mais ce n’est pas agréable, et les nuages de poussière, les bourrades que l’on encaisse, le brouhaha continu qui vous ahurit, tout cela n’a rien de réjouissant. Parlez-moi, au contraire, d’une brise fraîche, légère  ; même si elle souffle contre nous, elle est la bienvenue, et si elle voltige autour de nous, capricieuse et folle, sans qu’on puisse en reconnaître la direction, nous ne pouvons rien désirer de mieux, et tel est le compagnon précieux que je trouve aujourd’hui sur les bords du Rhône  ; la journée s’annonce très belle, et la suivante lui ressemblera si bien que le bilan de la circulation pendant les fêtes de la Pentecôte s’est traduit, cette année, par une cinquantaine de tués et dix fois autant de blessés. La route est devenue un champ de bataille, c’est le progrès  ; s’en plaindre et regretter 1830 serait la négation de la civilisation elle-même. Inclinons-nous et pédalons gaiement  ; la mort nous frôle à chaque auto qui passe, ce n’est pas une raison pour s’en faire, on ne meurt qu’une fois, et mourir sur la route c’est, pour un randonneur, mourir au champ d’honneur.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste”  », mai juin 1928, p.39-40, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/4

 EXCURSIONS DU “CYCLISTE”, JANVIER FÉVRIER 1929

«  Après le déjeuner, le soleil ayant enfin triomphé des nuages, tout changea  ; l’Homme est un kaléidoscope, il suffit d’une chiquenaude pour modifier du tout au tout la disposition de ses idées, lui faire voir en rose ce qu’il voyait en noir et transformer en bal joyeux une danse macabre.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste”  », Le Cycliste, janvier-février 1929, p. 5-10, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_15

 EXCURSIONS DU “CYCLISTE”, MARS AVRIL 1929

«  J’étais donc à Piolenc, d’où je voyais de très loin, car j’en étais encore à 30 km., mes amis R.... de Maillane qui venaient m’attendre à Sorgues. Après Orange, le vent souffle exactement dans l’axe de la route et m’emmène à mon allure maxima pendant que le soleil me rôtit le crâne et je me revois, l’an dernier à pareille époque, luttant péniblement sur cette même route, à la fois contre le vent et contre la pluie. Je revois un coin facile à repérer, où deux ou trois chétifs arbustes m’avaient offert un piètre abri pendant que je mangeais une banane et un morceau de pain, assez tristement, car je venais de laisser à Orange mes deux derniers compagnons. Rien de tel aujourd’hui, aussi je m’en donne à pédales-que veux-tu et j’allais être avant 15 heures auprès de mes amis quand, à la hauteur de Bédarrides, je sens mon pneu arrière talonner.  »
Vélocio, «  Excursions  », Le Cycliste, Mars Avril 1929, p.30, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_15

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