CROIX DE CHABOURET

jeudi 2 juin 2022, par velovi

Suite à ses propres essais, Paul de Vivie menait ses clients à ce col pour leur faire tester ses systèmes de multiplication. Il en proposait l’adaptation sur les bicyclettes personnelles, et c’était selon le capitaine Perrache en 1898 le seul fabricant en France à le faire.

On trouve ainsi ce témoignage de D’Espinassous, qui avait fait le voyage depuis Rochegude dans le Gard  :
«  Le mois dernier, j’étais allé à Saint-Étienne voir le directeur du Cycliste et me rendre compte de ses machines à plusieurs multiplications.
Aimablement accompagné par lui, j’étais, sur une de ses bicyclettes, monté de Saint-Chamond à la Croix-de-Chabourey sans aucune fatigue, n’ayant même pas mis pied à terre pendant ces dix kilomètres de côte.
L’expérience m’avait paru si décisive, si concluante, qu’à peine de retour de voyage, j’expédiai ma machine aux ateliers de la «  Gauloise  ». Elle m’est revenue, il y a huit jours, avec deux multiplications, 5m,60 et 2m,90, et l’adaptation a été si habilement faite, que rien au simple coup d’œil ne la révèle.  »
D’Espinassous, «  Le Vercors, les Gorges de la Bourne, le Pas de l’Échelle  », Le Cycliste, Novembre 1899, Source Archives départementales de la Loire, cote PER 1328_6

EXCURSIONS DUCYCLISTE”, 3 JANVIER 1926

«  Si bien, en vérité, que le 3 janvier je récidivai. Pédaler en plaine, c’est agréable si l’on veut, mais c’est un peu monotone. Rien ne vaut la montagne quand on aime la variété des sites et des impressions. Je pars à 7 h. 15 et me hâte, autant que me le permet l’état très inégal de la chaussée, vers Saint-Chamond, d’où, par Izieux et La Valla, je vais m’offrir, pour mes étrennes, les 1.201 mètres de la Croix-de-Chaubouret. Il y a là 900 mètres d’élévation qui ne sont pas, comme on dit, dans une burette, mais au cours desquels on a toujours sous les yeux des motifs de distraction et, sur la peau la forte suée hygiénique qui soulage l’organisme d’un tas de déchets pathogènes qu’elle seule est capable d’expulser.
[...]
Je prends la tenue légère et je ne mettrai pied à terre qu’à la Croix-de-Chaubouret, dont exactement 10 km. et 700 mètres d’élévation me séparent. Il y a, çà et là, des passages bien durs pour un développement de 3 m. 40 et un poids de 73 ans  ; je m’en tire en m’appliquant à pédaler rond, ce qu’on devrait toujours faire, même quand le besoin ne s’en fait pas sentir, si l’on tient à augmenter le rendement, tout en diminuant la fatigue, pour un résultat donné.
Jusqu’au barrage, j’ai côtoyé d’assez haut, à ma gauche, la gorge profonde du Gier, dominée par la montagne qui, de gradins en gradins toujours plus élevés, s’étage jusqu’au Pilat  ; après le barrage, la vue s’étend en outre, à droite, sur la large dépression creusée par le ruisseau que l’on a capté. De temps en temps, le soleil égaie de quelques rayons le paysage qui reste triste et morne, car le ciel était rouge ce matin et la pluie est imminente. La route est bonne et mon allure oscille entre 7 ½ et 8 km. à l’heure. Nous allions plus vite avant-hier entre Veauche et Montrond  ! Voici quelques maisons, la rampe s’accentue, j’arrive à 3 heures  ; le cadran, peint au-dessus d’une porte d’auberge et qui marquait depuis plus de cinquante ans cette heure-là, a disparu, ainsi que l’auberge, mais le nom est resté. Le Saut-du-Gier n’est pas loin  ; je l’apercevrais si j’avais de bons yeux  ; je le devine à l’échancrure qu’il a taillé dans la forêt en tombant du plateau où il prend naissance près de la Jasserie. Les bois du Pilat dominent maintenant la route qui va s’y souder en fermant la combe de telle façon que, de loin, il semble qu’on arrive à un col et à la fin de la montée.
C’est bien à un col qu’on arrive en effet, et à une auberge. Mais on ne fait que changer de vallée et il faut s’élever pendant encore 1.500 mètres au flanc d’une autre combe que commande le Bessat. Le soleil éclaire, juste à ce moment, les maisons et le clocher alignés sur la crête, donnant à ce tableau, d’ailleurs toujours remarquable, un saisissant relief.
Un dernier effort et j’atteins le point culminant où je m’entends héler. Par qui  ? Par mon compagnon d’avant-hier, ce jeune fonctionnaire qui, pedibus cum jambis, fait son habituelle ascension dominicale au crêt de la Perdrix. Je le félicite de nouveau et raccompagne un instant, puis la descente m’entraîne. Ce versant de la montagne paraît avoir été beaucoup plus enneigé et j’y trouve les restes encore imposants d’énormes congères qui ont dû donner de la tablature au cantonnier  ; le sol est à maints endroits mou et boueux, on risque de déraper dès qu’on s’engage sur les bas-côtés  ; la prudence est de rigueur. N’ai-je pas, par surcroît, la déveine d’attraper un clou dont j’aperçois à chaque tour de roue la large tête plate sur mon pneu d’avant  ? J’ausculte, la chambre ne faiblit pas, le clou obture la blessure qu’il a faite et il m’est arrivé de rouler ainsi tout le jour sans avoir à réparer. Ce ne sera pas le cas aujourd’hui  ; après Graix, je talonne et je répare. C’est un peu long, parce que j’ai l’onglée, et cette halte de vingt minutes sous la bise froide, les pieds dans la boue, me gâtera la fin de la descente.
Je m’étais peu vêtu au col, persuadé que j’allais, en moins d’une demi-heure, être à Bourg  ; dans ma hâte à réparer et à repartir, je ne pense pas à me vêtir davantage et je souffre bientôt du froid à en claquer des dents  ; j’arrive à Bourg transi et grelottant, mais le remède est là, qui va changer le mal en bien.
Sans transition, j’aborde la montée du col des Grands-Bois à une allure que je ne me connaissais pas, tant je comprends la nécessité de me réchauffer promptement. Avant la Croix-de-Laye, le remède opère et je me sens pénétré d’une agréable chaleur. Quel contraste et combien je m’applaudis d’avoir souffert du froid pour pouvoir goûter ensuite aussi profondément la volupté d’avoir chaud  !
Cette péripétie m’a peut-être préservé d’une autre mésaventure, car je songe soudain qu’il est midi, que je n’ai rien mangé depuis 6 heures, que le froid et le travail de 1.500 mètres d’élévation ont dû ratisser toutes mes calories et que la fringale me guette  ; mon estomac n’a pourtant pas l’air de s’en apercevoir. Je suppose (toutes les suppositions ne sont-elles pas permises  ?) qu’un organisme occupé à se défendre contre un adversaire redoutable, tel qu’une attaque de froid généralisé, étouffe toutes les autres plaintes du corps  ; il est certain qu’au cours d’une colique de miserere qui mobilise toutes nos forces de résistance, on peut nous pincer jusqu’au sang sans que nous le sentions. Finissons donc toujours par conclure qu’à quelque chose malheur est bon.
Voire, très bon  ! Les plus pessimistes auraient été de cet avis, s’ils m’avaient vu à midi et demi à l’hôtel du Grand-Bois, le dos au feu, le ventre à table, devant un excellent menu végétarien dont il ne restait pas, une heure après, de quoi nourrir un pinson. Sapristi, qu’il fait bon manger quand on a faim et combien la bicyclette est génératrice de joie, de santé et de bonne humeur  ! Il m’en fallut, à vrai dire, de la bonne humeur quand je dus me remettre en selle sous une pluie battante qui m’accompagna sans répit jusqu’à Saint-Étienne, mais j’en avais à revendre. Bien couvert maintenant de vêtements secs et chauds, protégé par un imperméable, je descendis lentement pour ménager ma monture, parfois au pas gymnastique pour me tenir les pieds chauds, satisfait d’avoir, au cours de mes deux premières excursions de l’année, l’une de 90, l’autre de 80 km., éprouvé des sensations d’ordre très varié.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste”  », Le Cycliste, janvier-février 1926, p.10-13, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/3

EXCURSIONS DUCYCLISTE”, 29 JUILLET 1928

«  Parfois, il me monte au cerveau des bouffées de jeunesse, entendez de ma jeunesse cyclotouristique qui s’est déroulée de 1893 à 1913, entre quarante et soixante ans, et il me vient des envies de refaire des étapes ou des demi-étapes que j’ai faites et refaites en mon plein épanouissement.
Une de ces demi-étapes dont j’avais dressé les itinéraires à l’époque où je commençai ma campagne en faveur de la polyxion et où j’offrais à tous mes adversaires de venir, sur le terrain, se rendre compte des avantages que donnait à un cyclotouriste le moyen pratique d’avoir à sa disposition plusieurs développements, une de ces étapes de la demi-journée s’appelait les cent kilomètres de Vélocio. Elle était convenablement accidentée ainsi qu’on va pouvoir en juger en me suivant un instant sur une bonne carte, par exemple celle de l’intérieur au l/100.000. De la place de l’Hôtel-de-Ville on descendait à Saint-Chamond par 12 kilomètres de bonne route en pente douce où les 8 mètres de ma Quadrimono faisaient merveille. Je n’avais, alors (je parle de 1896 à 1900), que des couples de pignons juxtaposés, deux à droite, deux à gauche, sur lesquels je plaçais successivement mon unique chaîne  ; il me fallait donc mettre pied à terre pour changer de vitesse. C’était l’affaire de trente secondes, montre en main, parce que j’étais, et je le suis plus que jamais, myope et maladroit. La plupart de mes amis ne comptaient que vingt secondes entre le moment où ils mettaient pied à terre et celui où ils reprenaient leurs pédales  ; le record était de dix-sept secondes  ! C’était en somme le dispositif que M. Rivet, à Lyon, le Dr Ruffier, à Paris, et les coureurs du Tour de France emploient encore aujourd’hui  ; il n’est pas à dédaigner. L’opération était facilitée, de notre temps, par le fait que les dentures des pignons étaient établies pour que, sur chaque couple, la chaîne fût également tendue et qu’on pût, au moyen d’un crochet spécial que j’avais imaginé, la déboucler et la reboucler en un clin d’œil. Nous ne connaissions pas, en 1898, ou du moins nous n’utilisions pas encore la roue libre qui était loin de la perfection qu’elle a atteinte ensuite. J’avais, d’ailleurs, une dent contre elle, parce que la première fois que je l’essayai, maladroitement et imprudemment sur une machine sans freins, comme on en voyait beaucoup à cette époque, j’avais fait une mauvaise chute. C’est pourquoi ma Quadrimono avait encore, en 1898 et même en 1900, roue serve à toutes les vitesses.
De Saint-Chamond (300 m.) on s’élevait jusqu’à la Croix-de-Chaubouret (1.200 m.) par 17 km. de rampe dont les dix derniers, du pont du barrage au col, sont à moyenne de 7 %. Ma chaîne restait sur 4 mètres jusqu’au pont où je la plaçais sur 2 m. 80. Du col, 15 kilomètres de descente continue, où mon 8 m. m’était à la fois utile et agréable, nous amenaient à Bourg-Argental (500 m.) que nous ne faisions que traverser pour nous élever dare dare à 500 mètres plus haut, au-dessus de Burdigne, rampe très dure pendant les premiers kilomètres, faible après Burdigne, jusqu’à un point culminant d’où, par 8 km. de descente moyenne, coupée par une faible remontée de 1.500 mètres, on arrivait à Saint-Sauveur-en-Rue. Avec mon grand développement, ces 8 kilomètres se négociaient en un quart d’heure  ; c’était délicieux. De Saint-Sauveur on montait au Tracol, ci, de nouveau 500 mètres d’élévation  : j’y utilisais 4 m. et 2 m. 80 et redescendais dans la vallée de la Dunières, après un crochet assez accidenté par Marlhes  ; ensuite mon 6 mètres convenait parfaitement à la route de Riotord à Dunières. Après Dunières, si l’on ne se sentait pas trop amoché par les trois grimpettes précédentes, on gagnait au plus vite Saint-Genest-Malifaux, où nous attendait le déjeuner, en se servant alternativement de 4 m. et de 6 m. et, si l’on était fatigué, en ayant, de temps en temps, recours au petit 2 m. 80. On avait ainsi parcouru, entre les deux déjeuners, cent kilomètres bien tassés en s’élevant, au bas mot, de 2.800 mètres en 7 heures donc à la vitesse commerciale horaire de 14 à 15 km.
En général, les monoïstes s’arrêtaient au Tracol et souvent même à Saint-Sauveur devant la troisième rampe. Je les engageais alors à essayer de continuer avec un de mes petits développements, 4 m. ou 2 m. 80, et ils étaient tout surpris du soulagement que leur apportaient ces démultiplications qu’ils jugeaient auparavant ridicules, surpris aussi de l’aisance avec laquelle je pouvais, à ce moment critique pour eux, me servir de leur mono et grimper avec 5 m. 60 là où il leur fallait 2 m. 80, parce qu’ils s’étaient surfatigués, tantôt à tourner trop vite, tantôt à appuyer trop fort, tandis que je m’étais appliqué, depuis le départ, à ne jamais exagérer l’effort, je pouvais donc maintenant me dépasser un peu plus.
Aujourd’hui, avec les polys que nous avons, les cent kilomètres de Vélocio ne demanderaient pas plus de six heures à un cyclotouriste moyen qui, n’ayant qu’à manœuvrer son levier de commande pour passer d’une vitesse à l’autre, pourrait beaucoup mieux proportionner le levier de la puissance à celui de la résistance  ; mais ma vieille Quadrimono de 1896 m’a toujours suffi pour gagner à la cause de la poly les monoïstes sincères et de bonne foi qui venaient pour se rendre compte de visu de la réalité des faits que j’exposais dans Le Cycliste.
Bien entendu, je ne réussissais pas toujours et le col de la Croix-de-Chaubouret ne fut pas pour tous le chemin de Damas des monoïstes comme l’avait qualifié notre regretté collaborateur, M. d’Espinassous, dont nous rééditerons, à la demande de plusieurs abonnés, quelques-uns des attachants récits qui suivirent sa conversion à la poly.
Me vint un jour un Tourangeau, aimable cyclotouriste, affligé, le malheureux, du développement unique de 6 m. 32. Il fit bonne contenance jusqu’au pont du barrage, ayant enlevé en vitesse les quelques raidillons du début de la montée. Mais, après avoir lutté jusqu’au village de La Valla (contre les premiers kilomètres à moyenne de 7 %), apprenant qu’il y en avait encore huit ou neuf comme cela... «  Laissez-moi, me dit-il, regagner ma Touraine, la bicyclette n’est pas faite pour franchir de telles montagnes  !  » Et il redescendit sans vouloir rien entendre.
Un fait assez curieux et auquel je ne m’étais pas attendu, c’est que le développement de 8 mètres me servait pendant au moins la moitié de ce parcours accidenté. La roue serve nous obligeait à pédaler continuellement, car les imprudents seuls se hasardaient aux descentes à abandonner les pédales au risque de voir la chaîne sauter brusquement hors des pignons et de se sentir projeter dans l’espace par l’arrêt soudain de la machine. Quand on filait à 30 à l’heure, à la descente des Grands-Bois, par exemple, il n’était pas désagréable de tourner à 60 tours et même un peu plus sans appuyer, en laissant aux freins le soin de notre sécurité. Les articulations se trouvaient même bien, il me semble, de ces mouvements passifs et leur suppression fut longtemps un grief contre la roue libre. Aujourd’hui encore, l’immobilisation des jambes pendant une longue descente me fait regretter la roue serve, surtout quand il fait froid. Par exemple, il ne fallait pas compter, avec 8 mètres, pouvoir s’arrêter rapidement en contrepédalant, tout au plus pouvait-on modérer peu à peu l’influence de la pesanteur et, quand je n’avais pas de frein, ce qui m’arrivait quelquefois et qui fut même la mode à une certaine époque, je faisais sagement la descente avec 4 mètres tout comme je venais de faire la montée. J’en étais quitte, alors, pour tournoyer à 100 ou 120 tours en suivant les pédales (et les cale-pieds m’étaient alors précieux), mais en quelques mètres je pouvais m’arrêter. D’ailleurs, on ne négociait jamais les descentes aussi vite qu’on le peut en roue libre et je me souviens que, lorsque le Tour de France passa la première fois par Saint-Étienne et le col des Grands-Bois, les cyclotouristes de l’École stéphanoise, même les pépères, grâce à la roue libre, clamèrent aisément le pion aux professionnels au cours de la descente sur Bourg-Argental.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste”  », Le Cycliste, juillet-août 1928, p.67-74, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/4

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