Ma dernière pelle (1908)

lundi 28 mars 2022, par velovi

Par Paul de Vivie alias Vélocio, Le Cycliste, 1908, source archives départementales de la Loire, cote per1328
Elle date du 9 mai, 9 heures  ; toute récente, par conséquent, elle mérite d’être contée à titre de salutaire avertissement.
Je filais, à 25/30 à l’heure, sur une pente à 8% en quittant Saint-Régis-du-Coin dans la direction de Riotord. J’étais seul, personne ni devant ni derrière, pas le moindre obstacle en vue.
Tout à coup je me sens soulevé par l’arrière-train de ma bicyclette et projeté par-dessus le guidon à quelques mètres en avant.
Une sensation que je n’avais pas éprouvée depuis le jour, il y a 28 ans, où, juché sur mon grand bicycle, j’eus l’idée baroque, en pleine descente à 5 ou 6 %, de me pencher en avant pour regarder tourner ma roue  ! Ce ne fut pas long, comme bien vous pensez. Mais à bicyclette je n’avais pas encore senti ma roue motrice ruer de cette façon.
Par exemple, j’ai cette année une chance extra-ordinaire  ; c’est ma troisième pelle et je n’ai pas encore une écorchure sérieuse. Me relevant en toute hâte avec de vagues égratignures aux mains, je me secouai et ramassai les menus objets qui avaient quitté mes poches pendant mon involontaire essai d’aviation  ; puis je courus à mon n° 6 qui gisait à quelques mètres de là et qui, contrairement à la crainte de le recevoir sur le dos, qui m’était venue pendant que j’entrais en contact avec notre mère commune, avait évolué loin de moi, en vertu de lois que les théoriciens découvriront certainement un jour.
Ma pauvre bicyclette était en un triste état ; le pneu AV touchait la boîte du pédalier, les deux tubes du cadre étaient ployés, froissés, l’un d’eux même fendu, les quatre ressorts de la selle cassés, le garde-boue en bois de la roue directrice déchiqueté plutôt que fendu, et ses tringles étrangement tordues retenaient encore la bavette en cuir qui, en hiver, protège les pieds contre la boue et l’eau et que je n’avais pas encore enlevée. Que s’était-il donc passé pour que, ma roue directrice s’arrêtant net comme sur un mur, j’eusse été ainsi lancé dans l’espace.. Simplement ceci : La bavette en cuir dont je viens de parler, racornie, plissée, recroquevillée, avait été soudain happée et entraînée par le pneumatique, entraînant à son tour les tringles » et le garde-boue / qui, faute de pouvoir se plier, s’était cassé ; le tout avait bloqué la roue comme un coin que l’on aurait introduit entre la tête de fourche et le pneumatique.
Cet accident n’est pas nouveau ; il y a juste 20 ans, il en arriva un semblable, sous mes yeux, à l’un de mes compagnons  ; c’était au temps des caoutchoucs creux, une pierre projetée par la roue sauta dans le garde-boue, glissa entre celui-ci et le bandage, s’arrêtât au point où les tringles fixées au garde-boue rapprochent un peu celui-ci de la roue, s’y coinça et mon compagnon alla voltiger sur la route.
En somme, le garde-boue de la roue directrice est un danger permanent, à moins qu’on ne l’établisse de telle sorte que, de son point d’attache sur la tête de fourche jusqu’à son point terminus entre les tringles, il aille en s’écartant progressivement du bandage : de cette façon, une pierre, un morceau de bois lancé dans le garde-boue ne pourra s’y arrêter. Les bavettes devront s’écarter davantage encore, surtout ne pas flotter, mais être maintenues rigides par des ressorts.
Si ces conditions sont remplies, on échappera peut-être au désagrément que je viens d’éprouver ; pour la première fois, il est vrai, après 28 ans de cyclisme, mais qui va me décider à remplacer mes garde-boue AV par une bande cuir attachée au tube inférieur du cadre. Je me crotterai un peu, mais tant pis, j’aime mieux cela que d’aller pirouetter à l’improviste dans les airs. Tel que je le relevai, mon n° 6 était dans l’impossibilité absolue de rouler  ; pourtant, en accrochant le cadre à un arbre et en exerçant des tractions répétées sur la fourche, je parvins à redresser les tubes suffisamment pour que roue pût tourner librement et je rentrai chez moi à 26 kilomètres du lieu de l’accident sans autre mésaventure, en pédalant avec prudence, bien entendu  ; fourreaux, tête de fourche et tube de direction sortaient de l’aventure entièrement indemnes, mais les deux tubes devront être remplacé.
J’engage tous les lecteurs du Cycliste à bien
se rendre compte par l’expérience directe si un objet de grosseur convenable introduit entre le garde-boue et le bandage risque de s’y coincer, et, si tel est le cas, de faire le nécessaire, c’est-à-dire d’éloigner le garde-boue du bandage, pour éviter une chute qui pourrait être plus grave que la mienne ne le fut.
On ne se fait pas une idée de l’instantanéité avec laquelle une roue en mouvement rapide, entraîne une extrémité de garde-boue entrant en contact avec elle.
Dernièrement, un de mes amis pédalant suivi de son fils, sent un léger heurt et sa roue motrice bloquée comme par un frein irrésistible glisse en dérapant au grand dam des pneumatiques. Forcé de mettre pied à terre, mon ami s’aperçoit avec surprise que son garde-boue arrière, replié sous lui-même en queue d’écrevisse, les tringles ramenées vers les haubans, écrase le pneu. Que s’était-il donc passé  ?
Son compagnon, pour éviter un chien, avait fait une embardée, et sa roue directrice était venue toucher l’extrémité du garde-boue qui, aussitôt happé par le pneu, avait été entraîné et bloquait la roue arrière.
Petites causes, grands effets.
LOCIO.

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