Luchon Bayonne (mars 1910)

lundi 4 décembre 2023, par velovi

Le Cycliste, mars 1910

Notre correspondant R. P... avait raison, et M. Desgranges, directeur de l’Auto, à qui j’avais demandé jusqu’à quel point les machines du Tour de France étaient poinçonnées, m’a répondu ceci :
« Il est exact que, aux termes du règlement du « Tour de France », les pignons des machines ne sont pas poinçonnés, ce qui implique pour le coureur le droit d’en changer en cours de route.
« Je dois cependant dire que les coureurs n’usent de cette faculté que très rarement. »
Nous lisons, en outre, dans l’Auto du 4 mars, sous la rubrique : « Petite correspondance », en réponse à une demande de M. A. D..., à Angôulême : « Oui, les coureurs du Tour de France peuvent changer leurs pignons et modifier leur multiplication. »
On m’assure même que lesdits coureurs peuvent tout changer, même les roues, et qu’il n’y a de poinçonné que le cadre.
Nous n’irons donc à Luchon qu’en simple curieux, pour tâcher de nous rendre compte comment les coureurs viendront à bout de cette rude étape et quels développements ils choisiront successivement au cours de ces 325 kilomètres , qui nous avaient paru suffisamment accidentés pour matcher avec avantage nos polys contre leurs soi-disant monos, pour démontrer irréfutablement que la polymultiplication est nécessaire même à des professionnels lorsqu’ils se hasardent sur le terrain du cyclotourisme.
Cette démonstration se trouve faite d’une façon plus éclatante et plus péremptoire par nos adversaires qui sont forcés d’avouer qu’ils sont eux-mêmes des polymultipliés, honteux de l’être, il est vrai, et s’astreignant à un travail de démontage et de remontage des plus ennuyeux plutôt que de placer à demeure sur leur bicyclette les pignons multiplicateurs ou démultiplicateurs qu’ils cachent dans’ leur poche.
En définitive, les coureurs du Tour de France usent d’un système de changement de vitesse dont nous usâmes autrefois, en 1888. La roue dentée étant fixée à la manivelle par trois boulons ou par un encastrement nous la remplacions en quelques minutes.
Ce système a cela d’excellent qu’il évite les résistances supplémentaires dont tous les systèmes de polymultiplication en marche sont plus ou moins affligés ; mais, il ne peut convenir qu’à des jeunes gens habiles à manier clef anglaise et tournevis et ne craignant pas de se salir les doigts.
Nous ne lutterions plus contre eux avec des armes meilleures, mais avec des armes moins bonnes au point de vue de la course, c’est-à-dire du pur rendement, le confortable étant ce dont les professionnels se soucient le moins et ce dont les cyclotouristes devraient se soucier le plus.
Notre espoir, légitimé par ce qui se passa en 1902 au Tourmalet, où les meilleurs professionnels s’effondrèrent, était de voir les coureurs du Tour de France réduits bien avant le col d’Aubisque à l’état d’ataxiques et obligés de s’arrêter bon gré mal gré pour prendre quelque repos. L’énergie la plus farouche ne saurait résister à la fatigue musculaire et cardiaque imposée par le fameux développement de 5m,50 sur des rampes comme celles de l’étape Luchon-Bayonne, et un moment vient où le vannage est tel qu’on ne peut même plus aller à pied.
Quand Fischer, avec 4m,40, et d’autres professionnels de marque, montèrent pour la seconde fois au col du Tourmalet, ils en étaient presque réduits à cet état de gâtisme, et il leur fallut 115 minutes pour faire les derniers 11 kilomètres et demi de Barèges au col, du 6 à l’heure, alors que Viviant, un cyclotouriste, ne mit que 82 minutes. Or, je vous le demande, à quelle allure auraient-ils marché si on leur avait imposé de grimper une troisième et une quatrième fois ?
Ils se seraient effondrés, et, pendant ce temps, les Viviant et autres cyclotouristes que nous sommes auraient pris tranquillement l’avance qu’ils auraient voulu.
Tant qu’un coureur sent, par l’effet de sa volonté ou du doping, que ses entraîneurs lui infligent une étincelle de vigueur, il en use à laisser croire qu’il est infatigable, et il paraît imbattable ; mais soudain, ayant épuisé toutes ses forces résiduelles, il tombe, et les plus beaux discours, même la sainte galette, ne peuvent lui faire faire un pas de plus.
Nous ne pouvons que les approuver d’avoir enfin compris qu’il valait mieux devenir poly-multipliés que de continuer à s’éreinter pour défendre la cause de la mono que l’étape Luchon-Bayonne condamnera sans appel ; car ceux-là seuls, parmi les professionnels, en viendront à bout qui se seront d’une façon ou d’une autre polymultipliés ; et nous aimons à croire que quelques-uns d’entre eux seront assez intelligents pour se polymultiplier en vue de l’étape Luchon-Bayonne, d’une façon moins rudimentaire que celle dont ils se sont servis jusqu’à présent pour des étapes infiniment moins pénibles.
La question d’une épreuve comparative entre monos et polys étant ainsi terminée à notre avantage, nous croyons qu’une épreuve comparative entre polys des très divers et très nombreux systèmes, anciens et nouveaux, qui se disputent aujourd’hui la faveur des cyclotouristes, serait utile et fixerait un peu les idées sur la valeur respective de tous ces systèmes.
De beaucoup nous ne savons que ce qu’en dit la réclame, ce qu’en affirment les catalogues, c’est insuffisant.
Il me semble que nous piétinons sur place, que la bicyclette de voyage, de tourisme, de montagne pour laquelle nous combattons, s’attarde en des formes désuètes, en des lourdeurs exagérées, qu’il faudrait sans lui enlever du confortable, en lui en donnant même davantage, lui rendre un peu de ce rendement qu. séduit à première vue et dont elle se désintéresse par trop.
Il ne faut pas que s’implante dans l’esprit du public l’idée qu’une polymultipliée doit nécessairement peser 20 kilos et coûter 500 francs.
Nous réclamons des polymultipliées légères pour les jeunes gens qui veulent à l’occasion faire un peu de vitesse, et river leur clou à ces pédards monomultipliés, qui se moquent de nos camions ; et nous réclamons des polymultipliées à bon marché pour les petites bourses.
Et si les constructeurs français n’y prennent garde, cette clientèle qui représente le grand nombre écoutera les offres des fabricants anglais qui s’efforcent depuis quelques années de reconquérir notre marché. Mais les machines anglaises n’ont en fait de polymultiplication que des moyeux à engrenages qui ne plaisent pas à tout le monde ; elles ne connaissent ni rétros, ni lévos, ni polychaînes, ni transport de chaîne. Ce sont pourtant tous ces systèmes essentiellement français qui ont eu chez nous le plus de succès depuis que les concours du T. C. F. les mirent en vedette. Chacun d’eux s’est fait une place au soleil, s’est conquis une clientèle, s’est recruté des partisans, parfois intransigeants, qui les propagent autour d’eux. Il faut donc qu’on les perfectionne, qu’on les allège, qu’on leur donne un peu de ce qui leur manque souvent trop, du rendement.
C’est pourquoi nous aurions vu avec plaisir nos constructeurs faire un effort pour lancer de Luchon à Bayonne concurremment avec le Tour de France, des modèles nouveaux, étudiés plutôt au point de vue des rapides allures qu’à celui des promenades à la papa et qu’ils auraient, bien entendu, confiées à des professionnels de la valeur de Faber, Trousselier, etc.
Il importe de prouver une fois pour toutes qu’une polymultipliée n’est pas nécessairement une tortue, et qu’on peut faire des bicyclettes de voyage légères et rapides sans qu’elles cessent pourtant d’être confortables. Vélocio. .

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